Les maux qui rongent le Maroc sont multiples. L’arrivisme en fait partie. Certains comportements, considérés à tort comme les plus hautes formes d’intelligence pour atteindre des objectifs dans les plus brefs délais, constituent en réalité un véritable handicap pour le développement du pays. C’est un gâchis social et économique incommensurable.

Le 12 octobre 2018, le chef de l’État a conclu son discours d’ouverture de la session parlementaire d’automne en soulignant que le Maroc est un pays de patriotes et non d’opportunistes, pour ne pas dire d’arrivistes. Le Souverain avait d’ailleurs appelé les élus de la nation à faire preuve de patriotisme sincère et de manifester une réelle volonté de mobilisation générale et un souci de placer les intérêts du pays et des citoyens au-dessus de toute considération. «En effet, le Maroc doit s’affirmer comme un pays d’opportunités et non d’opportunistes. Quel qu’il soit, chaque citoyen marocain doit jouir des mêmes chances pour servir son pays et être sur un pied d’égalité avec ses compatriotes pour tirer profit des richesses nationales et des occasions d’épanouissement et d’ascension sociale», a déclaré le roi Mohammed VI.«Le Maroc a aussi besoin d’hommes d’État sincères et engagés pourassumer avec abnégation les responsabilités qui leur incombent», a ajouté le Souverain.

Un phénomène qui fait des ravages

‘‘Santiha’’, ‘‘jabha’’, ‘‘mqazder’’ (sans vergogne), les qualificatifs pour désigner un arriviste ne manquent pas. Comme cet ex-ressortissant marocain résidant à l’étranger qui, à peine rentré au Maroc dans les années 1990, est nommé directeur d’un établissement public parce qu’il a su s’introduire dans un club réservé aux personnalités influentes del’époque. On raconte qu’au lendemain de sa nomination, il ne savait pas nouer une cravate, parce que tout simplement il n’en avait jamais porté.

Il y a ceux qui considèrent que l’arriviste est quelqu’un qui n’a pas d’argent et qui, du jour au lendemain, devient riche. Pas forcément. L’arriviste peut être fortuné, mais pas assez cultivé ou sans aucun sens du raffinement. Quoi qu’il en soit, les arrivistes sont légion dans notre pays. Un témoignage poignant de Samir B.sur LinkedIn nous donne un aperçu sur l’ampleur de ce phénomène: «J’ai quitté mon pays parce qu’une petite arriviste diplômée d’une école privée non reconnue et sans expérience a été propulsée chef de départementaprès deux mois de service dans le grand groupe privé marocain pour lequel je travaillais. En 60 jours, c’est devenu mon N+3 à coup de servilité, de copinage avec les supérieurs hiérarchiques, de cadeaux réguliers aux différents responsables, d’attitude européanisée et d’utilisation de l’anglais à tout bout de champ. Cette petite garce faisait semblant d’être tout le temps débordée alors qu’elle ne faisait rien d’autre que passer sa journée à ragoter en laissant le ‘‘petit personnel’’ faire tout le travail à sa place. Même si cet état de fait ne m’atteint pas directement, j’ai décidé de démissionner estimant que la promotion que j’aurais décrochée après 15 ans de bons et loyaux services m’a déjà été volée!». Cet exemple vécu par Samir B., aujourd’hui installé à Edimbourg, aurait une place de choix dans l’ouvrage de notre confrère Abdelhak Najib ‘‘Schizophrénies marocaines’’ (Éditions Orion).

Un fléau mondial

Il ne faut pas s’y méprendre, l’arrivisme est un fléau qui touche tous les pays du monde sans exception, y compris le Vatican. En 2014, le pape François avait dénoncé l’ »arrampicatore », qui veut dire arriviste en italien, s’indignant du fait qu’il y a certaines personnes «qui suivent Jésus pour l’argent, avec l’argent, cherchant à profiter économiquement de la paroisse, du diocèse, de la communauté chrétienne, de l’hôpital, du collège». Profiter égoïstement des circonstances, avec une indifférence totale par rapport aux principes ou aux conséquences pour les autres, est donc une réalité universelle. Àne pas confondre avec l’ambition. Au contraire de l’arriviste, l’ambitieux sait discerner ce qui est bien pour lui de ce qui est mal pour autrui.

Comme un caméléon, avec sa particularité de jouer sur les mots, sa contradiction éternelle et attitude insaisissable, l’arriviste navigue au gré du vent dominant. Faisant fi des méthodes rationnelles et légales pour atteindre son objectif, il préfère flatterles plus forts, réduire l’effort et brûler les étapes pour raccourcir les distances, piétinant au passage la morale et l’éthique.

Au pays de l’érable, chantre de la droiture, les Québécois se plaignent de plus en plus des positions politiques et idéologiques temporaires et colorées de certains décideurs qui ne se soucient guère d’abandonnervaleurs etprincipes, se moulant selon le besoin et les circonstances requises par n’importe quelle étape. Hypocrites, ces décideurs arrivistes sans passé, loin d’être des leaders charismatiques, fondent leur discours politique sur un slogan et non sur un projet. Une logique utilitariste qui ne permet pas d’élargir l’horizon de prise en compte des priorités de la nation. Des pratiques bien connues chez nous et qui se sont matérialisées lors du processus électoral de cette année. Le champ politique marocain regorge de politiciens qui changent de position comme ils changent de vêtements.

Reconnaître un(e) arriviste

Les Casablancais considèrent tout nouvel arrivant dans la métropole comme étant un(e) arriviste. Au-delà de ce préjugé, le portrait type de l’arriviste est brossé selon des caractéristiques bien précises. Tout d’abord, l’arriviste est l’incarnation même du ‘‘fake’’. C’est l’expert des faux-semblants, le champion de l' »imposture ». Insensible et pas du tout empathique, le personnage est trahi généralementpar son look, mais ce n’est pas une condition sine qua non. Toujours sur son 31, coiffure parfaite et chaussettes assorties à sa chemise, il est persuadé que c’est la clé de son ascension sociale. Prétentieux et imbu de sa personne d’un côté, travailleur infatigable, il se met en avant en toutes circonstances. L’arriviste parle plus qu’il n’écoute.

En France, il y a même un livre paru aux Éditions Flammarion intitulé ‘‘Petit manuel du parfait arriviste’’ de son auteure Corinne Maier qui apprend aux lecteurs que l’arrivisme ne s’improvise pas. Les règles de cet ‘‘art subtil’’ sont disséquées avec les recettes pour tirer son épingle du jeu. Et comme cela est mentionné sur la couverture de ce manuel, c’est «à lire sans scrupule».

La méritocratie comme valeur centrale

Afin de réduire les inégalités sociales au Maroc, la Commission spéciale sur le modèle de développement (CSMD) a préconisé de faire de la méritocratie une valeur centrale et de réhabiliter l’école dans sa fonction d’ascenseur social principal. Ceci permettra d’avoir une élite dotée du leadership nécessaire.

Pour y parvenir, il faut la contribution effective de toutes les parties prenantes dans le cadre d’une gouvernance transparente qui consacre notamment les principes de la méritocratie et de la compétence. Pour ce faire, une refonte relative aux recrutements dans la fonction publique a été amorcée par l’ancien exécutif dirigé par leParti de la justice et du développement (PJD), qui en avait fait un cheval de bataille lors des différentes campagnes électorales. Le gouvernement Akhannouch doit pour sa part achever la révision juridique de la procédure de nominations aux hautes fonctions afin de garantir le respect des principes, notamment ceux relatifs à l’égalité des chances, au mérite et à la compétence. La CSMD a aussi recommandé la constitution d’un ‘‘vivier de compétences’’ et de les former pour intégrer la haute fonction publique.

Mais la méritocratie a aussi des limites, car la place même accordée au mérite peut être disqualifiante. Imaginez le cas d’un jeune qui a raté ses études alors qu’il a d’autres talents et qui se voit en marge d’un système dont les maîtres sont dotés d’un type particulier d’intelligence et qui sont devenus les référents pour toute évolution. La célèbre sociologue d’origine marocaine Annabelle Allouch soutient que la méritocratie est au cœur de notre imaginaire collectif. Dans son livre ‘‘Mérite’’ (Editions Anamosa), Allouch démontre par A+B que ce principe est un mythe sans mérite, en tout cas dans l’Hexagone. «Il ressemblait à tous ceux qui sont certains que le mérite est la meilleure solution (ou la moins mauvaise) pour organiser l’ordre social et que leur destin peut être modifié par leurs propres actions», affirme-t-elle. Le mérite se résume dans la maxime «quand on veut, on peut». Elle note que la méritocratie se hisse peu à peu tout en haut de l’échelle sociale jusque «dans les notes attribuées en ligne aux médecins ou aux livreurs», ces «formes de classement ordinaires des individus».

Nombre de nos compatriotes ont plongé dans le désespoir, parce que bardés de diplômes et très expérimentés, ils ont vu des arrivistes incompétents et sans scrupules leur damer le pion et connaître une ascension fulgurante. La médiocratie a pris le dessus sur la méritocratie dans plusieurs secteurs. Bien des corporations ont été souillées par des arrivistes opportunistes sans foi ni loi, qui sont prêts à tout pour atteindre leurs objectifs.

Article 4 de de loi organique n° 02-12 relative à la nomination aux fonctions supérieures en application des dispositions des articles 49 et 92 de la Constitution En application des dispositions de l’article 92 de la Constitution, sont fixés comme suit les principes et critères de nomination aux fonctions supérieures prévues au paragraphe 2 de l’article premier ci-dessus: I-Principes de nomination: ·l’égalité des chances, le mérite, la transparence et l’égalité à l’égard de l’ensemble des candidates et candidats; ·la non discrimination, sous toutes ses formes, dans le choix des candidates et candidats aux fonctions supérieures, y compris en raison de l’appartenance politique ou syndicale ou en raison de la langue, la religion, le sexe, le handicap ou pour tout autre motif incompatible avec les principes des droits de l’Homme et les dispositions de la Constitution; ·la parité entre les hommes et les femmes, en tant que principe dont l’Etant œuvre à la réalisation conformément aux dispositions du 2èmealinéa de l’article 19 de la Constitution, sous réserve des principes et critères prévus par le présent article.

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