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Réseaux sociaux : le tberguig 2.0 prend le dessus

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Il y a 10 jours, alors que le Chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, faisait les 100 pas en attendant l’approbation de la liste de son cabinet, les rumeurs bruissaient autour des personnalités ayant obtenu l’aval du chef de l’État pour faire partie du nouvel exécutif. Des listes circulaient sur les réseaux sociaux avec des noms et des portefeuilles ministériels, sans aucun fondement. Radio médina a cédé la place à Facebook & co. Les rumeurs ont muté avec le commérage (tberguig) générant un nouveau variant. À l’ère 2.0, ce phénomène devrait être suivi de près par les sociologues.

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Certaines rumeurs prétendaient que Moulay Hafid Elalamy serait maintenu dans le nouveau gouvernement, mais à la tête dudépartement de la Santé. D’autres annonçaient le retour de Karim Ghellab. Il y a ce conseiller de Aziz Akhannouch qui aurait fait cette confidence à un businessman et cet autre membre du cercle rapproché de Nizar Baraka qui aurait carrément assister aux négociations et qui aurait confié ce « secret »à un journaliste istiqlalien… Même après la nomination du gouvernement, des rumeurs insistantes parlent d’un remaniement qui ne saurait tarder. Le bruit court que ce cabinet n’en a pas pour longtemps. Des « décideurs bien informés »jurent que les ministres actuels ont en poche des CDD de six mois. Au passage, le départ anticipé de Nabila Rmiliaura échappé à tout le monde…

Du Café Balima à WhatsApp

Jusqu’au début des années 2000, le célèbre Café Balima, situé au cœur de Rabat, en face du Parlement, sur l’avenue Mohammed V, était le point de chute de toutes les rumeurs. Et pour cause, ce lieu mythique faisant partie d’un hôtel historique portant le même nom, était fréquenté par des intellectuels, des députés, des ministres et des hauts cadres des différents secteurs.

Café Balima

Des agents en civil étaient souvent là pour tendre l’oreille et capter le contenu des discussions ou prendre part à des débats souvent improvisés à l’initiative de militants passionnés. Mais ce n’est pas au Café Balima que les décisions se prennent en coulisses. Avant la pandémie de Covid-19, un autre lieu de la capitale était très prisé surtout à l’heure des repas. Il s’agit de la Villa Mandarine. On pouvait y croiser des personnalités de haut rang. «Le chef propose une carte variée et inventive, qui change en fonction du marché et des saisons. Vous savourerez sa cuisine raffinée sur la terrasse, envahie par les fleurs et les odeurs des arbres fruitiers», peut-on lire sur le site de l’établissement.

Ville Mandarine

Mais les habitués ne viennent pas vraiment pour les calamars farcis aux crevettes, sauce armoricaine, mais bien pour discuter d’affaires confidentielles. Une pratique d’un autre temps, affirment les analystes politiques. Ces derniers sont persuadés que les ministres fraîchement nommés prendront leurs quartiers ailleurs, là où ils pourront la jouer casual avec des casquettes différentes pour être proches des journalistes ou au contact des jeunes.

Pour en revenir aux rumeurs, chaque jour apporte son lot d’infox. La viralité des contenus sur WhatsApp, faisant irruption dans le quotidien des citoyens, en fait un espace de circulation de rumeurs par excellence. Du fait que c’est un espace clos, une fausse nouvelle peut circuler dans des groupes fermés un certain temps, avant qu’un média ne s’en empare pour la vérifier.

« Caméra Café »à la marocaine

Si la mini série humoristique « Caméra Café »produite par 2M en 2010 n’a pas très bien marché au Maroc, c’est que chez nous le tberguig dépasse les scénarios les plus inventifs. Bien sûr, nous n’avons pas le duo de choc Solo-Le Bolloc’h pour papoter devant la machine à café de tout ce qui touche à la vie des citoyens, mais même avec des acteurs aussi talentueux chez nous, rien ne vaut les retrouvailles autour d’un bon verre de thé pour s’adonner au voyeurisme, à la médisance et autres.

Au Maroc, on parle partout: dans les salons privés, dans les souks, dans les salles de sport et même dans les hammams. Ces paroles se transmettent en série (A raconte à B, B à C et ainsi de suite, avec ou sans discussion) ou par essaimage (A rapporte les dires d’untel à un groupe de personnes qui à leur tour en parlent à un ou plusieurs autres interlocuteurs). Scoops, petits récits croustillants ou des récits intéressants qui renferment habituellement une morale, chuchotés ou pas, les paroles propagées intensément se transforment en véritables légendes urbaines.

Ne jamais confier un secret

L’écrasante majorité des Marocains ne savent pas garder un secret. Si quelqu’un fait une confidence à un ami ou à un proche, tôt au tard son secret sera dévoilé. Le « confident »croit détenir le pouvoir en ayant l’exclusivité de l’information. Sans vouloir forcément nuire à la personne qui lui a fait confiance, il partagera son secret tout en faisant jurer à la tierce personne qu’elle ne le dira à personne. La chaîne de transmission ne se brisera qu’une fois que le concerné découvrira que son secret a été trahi.

Tberguigologie, une spécialité marocaine

Il faut tout d’abord préciser que le bergag, dans le sens propre du terme, est considéré comme un rapporteur (chekkam), un indicateur voire un traitre (biyaa). «Historiquement, le premier sens impliquait d’espionner son prochain, de trahir sa famille ou son groupe social auprès des autorités ou des agents administratifs. De nos jours, le tberguig se définit plutôt comme le principe social permettant l’observation rapprochée de chaque individu et l’interprétation médisante de chacun des indices collectés», soutient Dr Marie-Pierre Anglade, spécialiste de la géographie et du Monde arabe dans sa thèse «Casablanca, une « ville à l’envers », urbanités métropolitaines au prisme de la marginalité sociale au Maroc».

Ceci étant dit, il faut aussi faire le distinguo entre la rumeur et le « tberguig ». La rumeur se base sur une information soit fausse soit partiellement fausse. Elle naît quand les concernés ne communiquent pas. C’était le cas pendant le processus de formation du gouvernement. Les trois partis de la majorité avaient donné des consignes claires aux membres de leurs instances dirigeantes pour observer un silence radio par rapport à ce qui se trame en coulisses. Ce manque de communication a fait enfler les rumeurs infondées et largement diffusées, au point qu’elles sont considérées comme vraies.

La notion de tberguigrenvoie plutôt à la médisance ou au commérage. Cela désigne des propos ou des rumeurs que l’on échange, que l’on soit malintentionné ou pas. Généralement, des connaissances communes (amis, proches, collègues…) sont la cible des commères, mais pas seulement. Le tberguig dépasse le cadre des potins et autres racontars pour se transformer en médisance. Un vilain défaut dont nous autres Marocains nousdéfendons! D’un point de vue religieux, cette pratique est réprimandée. «J’ai entendu dire que…» est la phrase que l’on prononce à longueur de journée. Par qui ? Comment ? Quelle est la source de cette information qu’on a entendue? On ne le saura jamais… Mais qu’importe, les ragots sont racontés avec un malin plaisir, voire transformés et/ou amplifiés?! Selon les experts en sociologie, les gens font des commérages parce qu’ils ont le besoin d’appartenir à une communauté, de donner libre cours à leurs sentiments, de se sentir supérieurs parce qu’ils sont au courant de ce qui se passe, d’attirer l’attention… Les récepteurs ont aussi leurs raisons pour continuer à écouter les commérages, par exemple : le désir d’appartenir, de faire partie d’un cercle exclusif de membres de confiance, d’être incapables de confronter ses interlocuteurs… Rien n’empêche ceux qui racontent et ceux qui écoutent de se défouler autour d’un breuvage et en comité restreint sur un collègue, un patron, un voisin, un ministre… Ne dit-on pas que «la langue ne contient pas d’os» ?

Les limites du fact-checking

Pendant la 1re vague de la pandémie de Covid-19, les rumeurs fusaient de partout, obligeant le parquet et le ministère de l’Intérieur à réagir avec fermeté. Sur les réseaux sociaux, les rumeurs et les « fake news »pullulaient, allant jusqu’à faire vaciller la stabilité du pays. Faux communiqués, enregistrements fabriqués, photos et vidéos truquées inondaient les réseaux sociaux et applications de messagerie instantanée, semant la panique au sein de la société marocaine. Pourtant, ces pratiques tombent sous le coup du Code pénal. Plusieurs auteurs de fausses nouvelles ont été arrêtés au Maroc depuis le début de la pandémie.

De leur côté, plusieurs agences de presse et médias ont fait du fact-checking une fonction à part entière, allant même jusqu’à créer une rubrique dédiée. Ceci étant, il est parfois difficile voire impossible de vérifier la fiabilité d’une information à cause de la complexité du processus de transmission de cette information. Le concept « émetteur-récepteur »n’est plus de mise quand on parle des réseaux sociaux. Aussi, les professionnels des médias interpellent sur une question fondamentale: comment s’assurer que le fact-checkeur a fait son travail en toute neutralité et non par volonté de faire barrage à une information véritable, surtout quand ce fact-checkeur est un organe étatique?

Passe-temps favori de beaucoup de Marocains, le colportage de rumeurs et le tberguig transcendent toutes les catégories sociales. Sur les réseaux sociaux, certaines pages sont devenues « spécialisées »et des blogs ont été créés rien que pour ça. Une vraie gangrène pour la société marocaine…

Article 72 de la loi 88-13 relative à la presse et à l’édition Est punie d’une amende de 20.000 à 200.000 dirhams quiconque a publié, diffusé ou transmis, de mauvaise foi, une nouvelle fausse, des allégations, des faits inexacts, des pièces fabriquées ou falsifiées attribuées à des tiers, lorsque ses actes auront troublé l’ordre public ou suscité la frayeur parmi la population et ce, quel que soit le moyen utilisé notamment par discours, cris ou menaces proférés dans les lieux ou réunions publics, par des écrits, des imprimés vendus, distribués, mis en vente ou exposés dans les lieux ou réunions publics, par des placards ou affiches exposés aux regards du public, ou par les différents moyens d’information audiovisuelle ou électronique et tout autre moyen utilisant à cet effet un support électronique. Ces mêmes actes sont punis d’une amende de 100.000 à 500.000 dirhams si cette publication, diffusion ou reproduction a un quelconque impact sur la discipline ou le moral des armées.

 

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