Le Maroc est devenu une véritable jungle où tout est permis. Jeter un détritus, emprunter un sens interdit ou uriner sans gêne sur la voie publique, des gestes qui font désormais partie de notre triste quotidien. Les incivilités se multiplient, les valeurs morales se perdent. Où va-t-on ?

Ce n’est pas pour rien qu’on qualifie le peuple marocain de champion de l’incivisme. Tout visiteur étranger en atteste. Au Maroc, les seuls actes que nous autres Marocainsn’osonspas commettre sont ceux qui sont réprimés par la police. Hormis cela, le Marocain prend ses aises dans l’espace public, ignorant le bien-être de ses concitoyens dans l’irrespect total de la collectivité. Dépassements en tout genre, vulgarités et même vandalisme sont devenus monnaie courante. Ces incivilités ne sont pas propres à une catégorie sociale déterminée. Prenons le cas des usagers de la route, on peut voir un motocycliste pénétrer dans une trémie alors qu’il n’en a pas le droit, comme on peut s’offusquer en observant un propriétaire de SUV de luxe stationner sur le trottoir. Pour provoquer un sursaut en matière de civisme, il faudrait commencer par instaurer un principe: personne n’est au-dessus de la loi. La justice doit être appliquée à tous les citoyens de la même manière.

SUV

Des comportements inciviques choquants

À Casablanca, en faisant un tour du côté du quartier Maârif, autrefois quartier européen huppé, on ne peut déambulertranquillement sur le trottoir sans en descendre pour ne pas marcher sur un tas d’ordures jetées ici et là. « Interdiction d’uriner », peut-on lire sur le mur d’un immeuble recouvert d’un tag en darija. En s’y approchant, notre odorat confirme l’existence d’un liquide organique asséché par le soleil. L’odeur nauséabonde fait fuir tous les passants. Dans ce même quartier, l’automobiliste le plus calme perd son sang froid quand il aura à faire à une dizaine de motocyclistesarrivant en face de lui, en sens interdit. Ces derniers ne s’excuseront absolument pas mais dévisageront le pauvre conducteur, l’obligeant à s’y faire et à jurer de ne plus emprunter les ruelles de ce quartier surtout quand sa voiture subit des dommages (rayures, rétroviseur cassé…) sans que son propriétaire ne se retourne.Les exemples d’actes inciviques ne manquent pas. À Casablanca ou ailleurs, c’est du pareil au même. «J’ai du mal à sortir avec mes enfants. On entend des insultes partout… Un jour mon fils m’a demandé de lui expliquer ce qui était écrit sur un mur, c’était des obscénités, je n’ai pas osé lui répondre», raconte amèrement Tarik S. sur Twitter.

campagne

Autre manifestation incivique, la priorité aux piétons qui n’est respectée que dans leNord du pays. On vous dira que c’est l’héritage de la présence espagnole. Quant au respect des files d’attente, la pandémie de Covid-19 a semble-t-il amélioré les choses. Les gens n’osent plus se faufiler et font la queue malgré eux. De l’avis des sociologues, «le meilleur exemple que remarquent les étrangers qui viennent au Maroc, c’est la conduite des automobilistes, des motocyclistes et des piétons. C’est la plaie et la honte du Maroc ! Si l’on cherche une image symbolique de l’incivisme au Maroc, ce serait d’abord cela».

À l’origine de ce comportement indigne d’un peuple civilisé, les experts notent que les Marocains n’ont pas encore assimilé le vivre en commun dans l’espace public, qui impose des comportements moins égoïstes.«On est plutôt en présence de l’exacerbation d’un égoïsme qui tranche avec l’esprit de partage traditionnel. Il y a un état d’esprit antinomique avec l’esprit de cohabitation au sein d’un immeuble, qui ne peut être compris indépendamment du comportement général des Marocains. Si on se comporte mal au travail, dans la rue, dans sa voiture, à l’école, avec sa femme et ses enfants, comment pourrait-on se comporter bien avec le voisinage ?», s’interrogent les spécialistes. Alors pas la peine de se plaindre d’un quelconque tapage nocturne et n’essayez surtout pas d’expliquer à l’un de vos voisins qu’il doit se comporter en bon père de famille…

Pourtant, l’incivisme n’est pas inscrit dans les gènes des Marocains. Il est lié à leur présence dans l’environnement marocain. Pour s’en convaincre, il suffit de voir le comportement d’un Marocain à l’étranger. Ce touriste ou immigrérespecteles règles communautaires et ne reprend les mauvaises habitudes que quand il rentre au Maroc.

Chauffards et fiers de l’être

«J’ai vogué dans de nombreux pays en Afrique et ailleurs et je peux constater que le Marocain est le pire des conducteurs… Il est totalement inconscient de tous les risques qu’il prend pour lui-même et pour les autres. A noter à mon avis que sur les pourcentages reconnus, on peut largement y ajouter environ 25% qui n’osent pas reconnaitre leurs erreurs», écrivait Hicham il y a deux ans en commentant les résultats d’une étude réalisée en 2019.

Réalisée par Ipsos pour le compte de VinciAutoroutes, partenaire d’Autoroutes du Maroc (ADM), ce 1er baromètre de conduite responsable au Maroc, dressait un état des lieux des comportements des Marocains au volant. Ces derniers ont un excès de confiance en soi puisque 97% des sondés pensent qu’ils sont de très bons conducteurs. Sans s’étaler sur le respect de la limitation de vitesse, de la distance de sécurité et des voies de circulation, on y apprend surtout que les automobilistes marocains sont également plus nombreux à insulter leurs pairs. Pour la plupart des conducteurs marocains, le danger et les incivilités viennent toujours des autres.

Enfin, si 65% klaxonnent de façon intempestive les conducteurs qui les énervent, 50% injurient un autre conducteur. Combien en arrivent aux mains? L’étude ne nous le dira pas. Dans la capitale économique du Royaume, la circulation est un calvaire quotidien. Dans son livre « Le patriote irrévérencieux », l’écrivain Habib Mazini soutient que dans l’arène casablancaise«se disputent incivilités, crachats et insultes». Le conducteur casablancais peut stationner sur un trottoir ou en deuxième position le temps de faire sa prière ou acheter quelque chose. Le klaxon est un sport local et l’espace public est considéré comme une propriété privée avec droit de jouissance exclusif. On ne se soucie guère des autres, de leurs urgences… Pas la peine de faire une remarque sur ces comportements inciviques, les plus « cyniques »vous répondront :«tant que tu es au Maroc, ne t’étonne de rien». L’incivilité règne et tout le monde s’en accommode.

Halte au vandalisme!

Au mois de février dernier, les Casablancais étaient sous le choc. Quelques heures après la mise en service des nouveaux autobus de la métropole, une dizaine de bus flambants neufs sont vandalisés. Des photos et des vidéos partagées sur les réseaux sociaux montrent les nouveaux bus aux vitres cassées. Dans un communiqué, la Wilaya de Casablanca annonce l’arrestation de deux mineurs âgés de 16 et 17 ans, soupçonnés d’être impliqués dans ces actes de vandalisme et d’avoir infligé des pertes matérielles à la société de gestion du transport urbain à Casablanca.

bus

Toujours dans la métropole, pas plus tard que le mois d’août dernier, la rue du Jura au quartier Maârifa été la cible d’un autre acte de sabotage. La fontaine lumineusea été vandalisée: le carrelage a été détérioré et des carreaux entiers ont disparu. L’arrondissement a alors engagé des travaux de réparation et de remise en état et les équipes de la sûreté nationale ont ouvert une enquête afin d’identifier les personnes impliquées dans cette affaire.

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Que ce soit le fruit d’un esprit malveillant ou d’un défoulement, la dégradation du mobilier urbain défigure nos villes et représente des coûts conséquents. Abribus, lampadaires, panneaux de signalisation et poubelles sont dans un piteux état, non pas à cause de leur vétusté mais bien parce qu’ils sont la cible d’actes de vandalisme. Ces derniers incluent aussi le vol des plaques des égouts, le bris des vitres des établissements scolaires, l’arrachage d’arbustes… Une déliquescence qui se manifeste chaque jourface à l’impuissance des autorités publiques dont la fameuse police de l’environnement, annoncée en grande pompe après la COP 22 en 2017, reste inefficace voire quasiment absente. Quant au vandalisme lié aux rencontres sportives, les dégâts humains et matériels sont considérables.

La société civile réagit

Si sous d’autres cieux le crachat et le non ramassage par les propriétaires de chiens des déjections caninessur le domaine public sont passibles d’amendes, chez nous ce ne sont pas les autorités publiques mais la société civile qui agit pour dissuader les citoyens inciviques. En 2015, une page Facebook baptisée « Incivilité Maroc » a été lancée. Cette page permet aux citoyens de diffuser en temps réel les images des comportements indélicats qu’ils observent au quotidien. Stationnements interdits et bloquant la circulation ou encore vidéos de comportements dangereux… Les internautes postent tout et accompagnent leurs photos ou vidéos de commentaires. Les administrateurs sont allés plus loin en apposant des autocollants « véhicules mal garés » sur certaines voitures. Mais de grosses interrogations sont soulevées par rapport à l’aspect légal de cette opération.

Autres actions importantes, celles menées par Afak. Portée par feu Abderrahim Harouchi, l’Association marocaine pour le civisme et le développement (Afak) a vu le jour en 1995. Depuis, elle œuvre pour sensibiliser les citoyens à travers des actions sur le terrain. «La population n’a pas conscience du lien qui peut exister entre nos comportements quotidiens et le développement du pays. Cela suppose un niveau de conscience individuelle et collective qui n’est ni inné, ni donné, mais qui s’acquiert, se construit et se forge par l’éducation et qui fait de chacun de nous un citoyen responsable et acteur du développement», plaide l’ONG Afak. Cette dernière part d’un constat suite à un sondage qu’elle a réalisé en 2009. Selon les résultats de ce sondage mené auprès de 980 personnes dans 14 villes, toutes catégories socioprofessionnelles confondues, 66,32% des sondés ont considéré que le phénomène de l’incivisme a progressé de façon importante.

Enfin, on peut occulter l’initiative citoyenne promue par Mouna Hachim. Casablancaise de souche, l’écrivaine Mouna Hachim a lancé une page Facebook « Save Casablanca » en 2013. Il y a quelques mois, elle a publié un ouvrage intitulé « Le livre noir de la ville blanche » avec comme principale ambition le bien-être de Casablanca et de ses habitants.

Dans la société marocaine, l’éducation fait défaut. Comment voulez-vous changer la mentalité d’un adulte qui n’a jamais été recadré par rapport à un comportement incivique dans son enfance? Ce qui est gravissime, c’est cette attitude passive des parents quant à l’inculcation des valeurs éthiques et de citoyenneté. Aujourd’hui, le Marocain jette ses ordures où bon lui semble, s’affranchit des règles, usages et conventions communes en copropriété, dans la ville et même quand il profite des espaces naturels. Quand on cherche des explications aux actes de vandalisme, on se rend compte qu’ils ont été commis inconsciemment et non pas par défiance. Et c’est là le plus inquiétant. Quel avenir pour nos enfants dans un pays certes stable, mais dont les citoyens vivent dans l’anarchie? À méditer…

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