Gouvernement : un 17e chef de l’exécutif
Aziz Akhannouch dirigera le 32e gouvernementde l’histoire du Maroc indépendant. Il y a 66 ans,le 7 décembre 1955, après le retour d’exil de feu Mohammed V, M’barek El Bekkaï Lahbil futnommé par dahir royal à la tête du premier gouvernement marocain en tant que président du Conseil. Né le 18 avril 1907 à Berkane, M’Barek El Bekkaï avait pour mission principale de négocier avec la France au sujet de l’indépendance. C’est lui qui aura l’honneur et le privilège de signer, le 2 mars 1956, la déclaration commune reconnaissant l’indépendance du royaume.
Les présidents du Conseil
M’barek El Bekkaï sera nommé une nouvelle fois président du Conseil le 28 octobre 1956 à la tête d’un nouveau gouvernement qui restera aux affaires jusqu’au printemps 1958. Résistant dévoué et homme politique chevronné, El Bekkaï occupera par la suite le poste de ministre d’État à l’Intérieur dans le gouvernement présidé par Mohammed V en 1960, avant d’être reconduit par feu Hassan II au même poste, dans le gouvernement que le Roi va conduire. El Bekkaï est décédé le 12 avril 1961 à l’âge de 54 ans, alors qu’il occupait le poste de ministre de l’Intérieur.
C’est Haj Ahmed Balafrej (Parti de l’Istiqlal) qui succédera à M’barek El Bekkaï à la tête du 3e gouvernement, le 12 mai 1958. Signataire du Manifeste de l’indépendance, intellectuel de haut rang, Balafrej essaiera – avec sa double casquette de président du Conseil et ministre des Affaires étrangères – de mener à bien sa mission malgré de grandes agitations politiques. Le gouvernement Balafrej n’aura finalement gouverné que sept mois. En 1962, feu Hassan II décide de nommer Balafrej à nouveau au poste de ministre des Affaires étrangères et le choisira même en 1963 comme représentant personnel du Roi, poste qu’il assuma durant une bonne dizaine d’années, soit jusqu’en 1972. Sa maladie l’obligera à abandonner toute action politique et diplomatique jusqu’à sa mort en 1990.
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C’est le 24 décembre 1958 que Abdellah Ibrahim prend les rênes de l’exécutif en sa qualité de président du Conseil et ministre des Affaires étrangères. Théologien de formation, Abdellah Ibrahim avait fréquenté les bancs de la Sorbonne à Paris avant de rentrer au Maroc et de participer à la résistance contre le protectorat et à la création de l’Union marocaine du travail (UMT) entre autres… Dirigeant un cabinet ramassé avec Abderrahim Bouabid à l’Économie et aux Finances, Ibrahim alancé beaucoup de grands chantiers économiques et sociaux (sortie de la zone France, opération labours, création de la Caisse nationale de sécurité sociale, création de la raffinerie Samir, etc).
Istiqlalien puis secrétaire général de l’Union nationale des forces populaires (UNFP), Abdellah Ibrahim quittera ses fonctions de président du Conseil du gouvernement à cause de divergences avec le prince héritier au mois de mai 1960. Il exercera pendant de longues années en tant que professeur de sciences politiques pour le grand plaisir des étudiants universitaires. Abdellah Ibrahim nous a quittésen 2005.
Les péripéties de l’exécutif marocain connaîtront une parenthèse entre la mi-1960 et le début de l’année 1963 avec la présidence du Conseil par feu Mohammed V puis par feu Hassan II.
Les premiers ministres des années difficiles
Un retour à «normalité» interviendra le 13 novembre 1963 avec la nomination de Haj Ahmed Bahnini, représentant le Front de défense des institutions constitutionnelles (FDIC), à la tête du 9e gouvernement. Bahnini sera le premier chef de l’exécutif nommé avec le titre de «premier ministre» après l’adoption de la première Constitution de 1962 et les toutes premières législatives de 1963. Diplômé en droit, Bahnini avait occupé le poste de premier président de la Cour suprême, puis secrétaire général du ministère de l’Intérieur et ministre de la Justice avant d’accéder à la fonction de premier ministre. C’est aussi le premier chef de l’exécutif qui sera confronté à l’opposition.Environ sept mois après l’investiture de son gouvernement, une motion de censure fut signée par les députés de l’UNFP, notamment Abderrahim Bouabib, El Mehdi Alaoui, Mohamed Lahbabi, Abdelouahad Radi. Malgré tout, Bahnini échappeà cette motion de censure.
Il remettra la démission de son gouvernement en juin 1965 après la proclamation de l’état d’exception par feu Hassan II. Le destin mettra un terme à la vie de Bahnini lors de la tentative de coup d’État du 10 juillet 1971 à Skhirat.
Feu Hassan II dirigera à nouveau le gouvernement jusqu’au mois de novembre 1967 quand il nommera Mohamed Benhima en tant que premier ministre. Médecin formé à Nancy, Benhima est l’une des figures les plus notables du personnel politique marocain à l’époque. Il est chargé d’une responsabilité des plus délicates en pleine Naksa (défaite des Arabes face à Israël en 1967). Il fallait maintenir l’ordre public des actes à l’encontre de la communauté juive. Il avait aussi pour mission de rétablir la confiance, la défiance à l’égard des pouvoirs publics étant de plus en plus grande depuis les émeutes de Casablanca en 1965. Pour ce faire, il est épaulé par de nouveaux visages qui entrent au gouvernement. Il s’agit de deux cadres trentenaires: Ahmed Senoussi, ancien ambassadeur au Nigéria qui est nommé ministre de l’Information et Yahia Chefchaouni, ancien élève de l’École polytechnique et de l’École des mines de Paris, directeur du service des mines et de la géologie qui prend les rênes du ministère des Travaux publics.
Le 7 octobre 1969, un remaniement ministériel du 11e gouvernement du Maroc indépendant propulse Ahmed Laraki, jusque-là ministre des affaires étrangèresdans le gouvernement dirigé par Mohamed Benhima, au poste de premier ministre.
Également médecin diplômé de la faculté de Paris, Laraki était un militant dans le mouvement nationaliste et a occupé plusieurs postes au sein du gouvernement en plus de missions diplomatiques, dont l’ambassadeur du Royaume à Madrid et à Washington. Ce remaniement ministériel a été décidé par feu Hassan II alors qu’Ahmed Laraki se trouvait au siège l’Organisation des Nations Unies (ONU) à New York. Une reconnaissance des efforts consentis par ce diplomate de 38 ans qui a permis au Maroc d’abriter les travaux de la Conférence islamique qui devaient se tenir en Arabie Saoudite. Le 11e gouvernement rend son tablier en août 1971. Connus pour leur franc-parler, les deux médecins Benhima et Laraki occuperont par la suite des postes au sein des gouvernements successifs dans les années 1970 avant de s’éclipser.
Benhima décèdera en 1992 et Laraki en 2020.
C’est Mohamed Karim Lamrani qui sera choisi par feu Hassan II le 6 août 1971 comme premier ministre pour diriger le 12e gouvernement. Appartenant à une famille de notables fassis, l’homme est un haut cadre ayant déjà fait ses armes au ministère de l’Économie et des Finances et ayant dirigé avec brio l’Office chérifien des phosphates (OCP). Lamrani est appelé à diriger son premier gouvernement dans la foulée de la tentative de putsch de 1971. Homme d’affaires redoutable, Karim Lamrani est une figure du capitalisme qui accompagnera le peuple marocain pendant des décennies puisqu’il sera patron de l’exécutif à six reprises et à des périodes différentes, de 1971 à 1994. Feu Hassan II le chargera, le mardi 4 avril 1972, d’entreprendre les contacts nécessaires aussi bien avec les organisations qu’avec les personnalités politiques pour former un nouveau gouvernement. Ainsi, Lamrani succédera à lui-même et dirigera un nouveau gouvernement qui ne restera aux affaires que huit mois. Plus d’une décennie plus tard, Lamrani sera rappelé pour former le 19e gouvernement le 30 novembre 1983 puis le 20e le 11 avril 1985 avant d’être remplacé par Azeddine Laraki le 30 septembre 1986. Valeur sûre et homme de confiance du défunt Souverain, Lamrani reviendra à la Primature le 11 août 1992 et succédera une dernière fois à lui-même le 11 novembre 1993 alors que les consultations pour une alternance politique n’ont pas abouti. Après cette ultime nomination, Mohamed Karim Lamrani quittera son poste de premier ministre au mois de juin 1994, cédant sa place à Abdellatif Filali. Il disparaîtra alors des radars. Mohamed Karim Lamrani quittera ce bas monde dans la nuit du 19 au 20 septembre 2018 à l’âge de 99 ans.
Retour à l’année 1972. Ahmed Osman, beau-frère de feu Hassan II et jusque-là directeur du Cabinet royal, est désigné comme premier ministre en raison de ses qualités personnelles, de sa compétence, de son intégrité et de sa fidélité, avec pour principale mission de rétablir la confiance avec l’opposition. Le Maroc pansait encore ses plaies après la seconde tentative de coup d’État contre l’avion royalen août 1972. Juriste de formation, il avait fait partie de l’équipe travaillant au Cabinet royal dès le retour de Mohammed V avant d’entrer au ministère des Affaires étrangères puis à celui de la Défense nationale. Au mois d’août 1961, il était nommé ambassadeur du Maroc à Bonn. Sa carrière diplomatique l’a conduit également à Washington. Au sein du gouvernement, il a occupé, au cours des années passées, les fonctions de sous-secrétaire d’État à l’Industrie et aux mines, et de ministre des affaires administratives (en 1970). L’action la plus remarquable d’Ahmed Osman a eu lieu en 1975. C’est lui qui a guidé la Marche verte.
Osman dirigera trois gouvernements successifs avant de passer le flambeau à Maâti Bouabid au mois de mars 1979. Une année avant de quitter la Primature, Osman fonde le Rassemblement national des indépendants (RNI). L’idée était de regrouper les candidats indépendants qui ont obtenu la première place avec plus de 141 parlementaires lors des législatives de 1977, devenant la première force politique du pays. Osman continuera à occuper les devants de la scène politique puisqu’il sera élu président de la Chambre des représentants en 1984. Il restera au perchoir jusqu’en 1992. Quant au RNI, ce n’est qu’en 2007 qu’Osman quittera sa présidence.
Nous sommes au mois de mars 1979. Dans l’entourage de feu Hassan II, on murmurait depuis des semaines le nom d’un ministre et ex-membre de l’UNFP, qui serait désigné pour succéder à Ahmed Osman à la tête du gouvernement. L’homme en question n’est nul autre que Maâti Bouabid. Avocat casablancais réputé avec une forte carrure et un menton d’orateur, aux tribunes des meetings populaires. Ex-président du Conseil municipal de Casablanca et l’un des dirigeants du Raja de Casablanca, c’est dans sa ville natale qu’il s’était inscrit au barreau dans les dernières années du protectorat après avoir décroché son diplôme de la faculté de Bordeaux. Il fit partie des avocats ayant défendu les «complotistes» contre la sécurité de l’État entre 1963 et 1972. Nommé premier ministre le 27 mars 1979, Maâti Bouabid garde le portefeuille de la Justice. Son cabinet compte de grandes figures politiques comme M’hamed Boucetta, ministre d’État chargé des Affaires étrangères et de la Coopération, Mahjoubi Aherdan, ministre d’État chargé des Postes et des Télécommunications, Mohamed Douiri, ministre de l’Équipement et de la Promotion nationale et Arsalane Jadidi, ministre de l’Emploi et de la Formation professionnelle.
Après les émeutes de Casablanca en juin 1981, le départ de Maâti Bouabid était annoncé mais contre toute attente, il est maintenu à son poste. Il sera chargé par le Roi de former le 20e gouvernement qui entrera en fonction le 5 novembre 1981. Le RNI sera la grande victime du gouvernement Bouabid II. Le parti paye le prix d’une scission qui lui a fait perdre la moitié de ses députés et le prestigieux ministère des Finances jusque-là dirigé par Abdelkamel Reghaye. Ce dernier sera remplacé par un certain Abdellatif Jouahri, actuel wali de Bank Al-Maghrib. Jouahri aura plus tard à gérer le Programme d’ajustement structurel (PAS) imposé par les institutions de Bretton Woods. La mission de Maâti Bouabid à la tête du gouvernement prendra fin en 1983. Cette année-là, Bouabid créera l’Union constitutionnelle (UC) qui remportera haut la main le scrutin législatif de 1984. Homme politique respecté, Bouabid continuera à siéger au Parlement. Il décèdera en 1996.
Le début de la décennie 80 a été marqué par une détérioration prononcée des équilibres internes et externes conjuguée à une grave sécheresse. Une crise aigüe qui conduira le gouvernement Bouabid II à céder la place au 19e gouvernement conduit par Mohamed Karim Lamrani le 30 novembre 1983 puis au 20e gouvernement dirigé par Lamrani puis par Azeddine Laraki, Lamrani étant déchargé pour «raisons de santé». Laraki est un fin connaisseur des rouages du Palais. Ministre à plusieurs reprises, ce professeur de médecine était aussi membre de l’équipe médicale du Roi. Il avait été «suspendu» du parti de l’Istiqlal trois ans auparavant, à la suite d’un différend sur la réforme du système éducatif. Laraki est le premier ministre qui est resté le plus longtemps à la tête d’un même gouvernement.
Six ans après sa nomination, il sera remplacé par son prédécesseur Lamrani. Laraki s’éclipsera quelque peu avant d’intégrer l’Organisation de la conférence islamique (OCI) en tant que secrétaire général entre 1997 et 2000. Très discret, Laraki décèdera en 2010.
Quand Abdellatif Filali prend ses quartiers à la Primature le 7 juin 1994, les grands équilibres économiques sont rétablis au prix de dix années d’ajustement structurel. Le gouvernement marocain doit alors avoir « une stratégie offensive de croissance et de développement« . Né le 26 février 1929 à Béni Mellal, Filali était diplômé en droit en France avant de rentrer au Maroc au retour de feu Mohammed V et d’embrasser une carrière diplomatique. Chargé d’affaires auprès de l’ONU à New York (1958-1959), puis en France (1961-1962) ; successivement ambassadeur à Pékin, à Alger, à Madrid, à Londres, il occupera par la suite différents portefeuilles jusqu’à hériter de celui des Affaires étrangères.
L’autre mission confiée par le Roi à Filali était de préparer une alternance, après l’échec d’une première tentative qui a échoué quand les partis de la Koutla ont refusé le maintien de Driss Basri à l’Intérieur.
Le défunt Souverain avait confiance en Filali qui était loyal et compétent. Filali était encore plus lié à la famille royale depuis que son fils Fouad a épousé en 1984 la princesse Lalla Meryem, fille aînée du Roi. Feu Hassan II reconduira à deux reprises Filali dans son poste de premier ministre (le 27 février 1995, 24e gouvernement et le 13 août 1997, 25e gouvernement). Le dernier cabinet Filali connaîtra la nomination de treize technocrates, dont neuf secrétaires d’État parmi lesquels figurent quatre femmes dont une certaine Amina Benkhadra, actuelle directrice générale de l’Office national des hydrocarbures et des mines (Onhym). Le Roi insistera pour que Filali intègre le gouvernement d’alternance dirigé par Abderrahmane Youssoufi, en récupérant le ministère des Affaires étrangères. Il ne restera à ce poste qu’une seule année avant que feu Hassan II ne mette fin à ses fonctions. Après le décès du Roi, Filali s’installera à Paris. Il publiera un ouvrage intitulé « Le Maroc et le Monde arabe »(Ed. Scali). Il est mort le vendredi 20 mars 2009, à l’âge de 80 ans, dans un hôpital de la région parisienne.
L’ouverture politique
Le 14 mars 1998 est un jour à marquer d’une pierre blanche dans l’histoire politique du Maroc. Ce jour-là, Abderrahmane Youssoufi, leader de l’Union socialiste des forces populaires (USFP) et vieil opposant de la monarchie, prend les rênes du gouvernement dit d’alternance et accepte la présence del’inamovible Driss Basri.
L’USFP était arrivée première du scrutin législatif organisé le 14 novembre 1997 avec 57 sièges remportés à la Chambre des représentants. Né à Tanger le 8 mars 1924, Youssoufi avait rejoint le mouvement national alors qu’il était étudiant à Rabat. Après l’indépendance du Maroc, il choisira le militantisme plutôt que l’opportunisme. Avocat de formation, proche de Mehdi Ben Barka, Youssoufi avait été arrêté deux fois, en 1960 et 1963, libéré en 1964 avant de choisir l’exil et d’être condamné par contumace. Ses années en France, de 1965 à 1981 ont été marquées par son engagement politique au sein de l’Union nationale des forces populaires (UNFP) puis de l’USFP. À la mort de Abderrahim Bouabid en 1992, Youssoufi est choisi pour lui succéder à la tête du parti de la rose, signant son retour d’exil. Le gouvernement d’alternance a permis d’avancer sur plusieurs dossiers socio-économiques. Avec une équipe de ministres de différents courants politiques dont plusieurs cadres USFPistes compétents, Youssoufi assurera la transition entre les deux règnes. Un remaniement gouvernemental, le premier après l’intronisation du roi Mohammed VI, sera opéré le 6 septembre 2000 après le limogeage de Driss Basri. Youssoufi restera à la Primature jusqu’au mois de novembre 2002.
Alors qu’il devait être reconduit dans ses fonctions après la victoire de l’USFP aux législatives de septembre 2002, le roi Mohammed VI choisit Driss Jettou comme premier ministre. L’ambiance délétère entre l’USFP et l’Istiqlal par rapport à la 1re place à la Chambre des représentants a modifié la donne. Malgré l’éviction de leur leader, les socialistes accepteront de faire partie du gouvernement Jettou. Quant à Youssoufi, amer, il quittera ses fonctions de premier ministre et annoncera quelques mois plus tard sa retraite politique et sa démission du poste de premier secrétaire de l’USFP, plongeant le parti dans une crise sans précédent. Youssoufi s’astreindra au silence jusqu’à la publication de ses mémoires au printemps 2018. C’est sans doute l’un des grands honnêtes hommes qu’a connu le Maroc. Jusqu’à son décès au mois de mai 2020 en pleine pandémie de Covid-19 à l’âge de 96 ans, Youssoufi a continué d’habiter, avec son épouse Hélène, dans leur modeste appartement casablancais.
Mercredi 9 octobre 2002, Palais royal de Marrakech. Le roi Mohammed VI nomme Driss Jettou, jusqu’alors ministre de l’Intérieur, nouveau premier ministre. Ce dernier mettra un mois à former un gouvernement hétéroclite après de longues tractations avec les partis politiques. Ce natif d’El Jadida, diplômé d’études supérieures en physique-chimie, est un entrepreneur de renom. Il dirigeait notamment une grande entreprise de chaussures prospère. C’est à ce titre qu’il rencontrera feu Hassan II qui appréciait les belles chaussures, avant d’occuper son premier fauteuil ministériel, de l’Industrie et du Commerce, dans le gouvernement constitué de «technocrates» de Karim Lamrani, à partir de 1993. Chargé ensuite, en cumul, aussi des Finances et de l’Artisanat, il a quitté l’exécutif en 1998 avant d’être appelé par le Souverain, le 3 août 2001, à la tête de l’OCP. Un mois plus tard, le 19 septembre, il a été nommé ministre de l’Intérieur avec comme mission principale l’organisation des législatives. Les cinq années qu’il passera à la Primature marqueront les esprits.
On retiendra son sens de la répartie et son sérieux. Tanger Med, les grands chantiers autoroutiers ou encore l`accord de don américain de 697,5 millions de dollars US (MCC), c’était sous sa supervision. Remplacé en octobre 2007 par l’Istiqlalien Abbas El Fassi, dont le parti était arrivé en tête des législatives, Jettou se concentrera à nouveau sur son business avant d’être nommé en 2012 président de la Cour des comptes par le Chef de l’État. Il ne quittera ce poste qu’en mars dernier, quand il a été remplacé par Zineb El Adaoui.
Quand il reçût l’appel du Cabinet royal pour se présenter en audience devant le Souverain, le mercredi 19 septembre 2007, Abbas El Fassi n’en revenait pas. Agé de 66 ans, El Fassi était certes secrétaire général du Parti de l’Istiqlal, arrivé premier aux législatives du 7 septembre 2007, mais il était surtout impopulaire à cause de la troublante «Annajat». Le scandale avait éclaté en 2003. Àl’origine de cette affaire, une société émiratie qui avait lancé une offre pour le recrutement de 30.000 Marocains pour travailler à bord de bateaux de plaisance de la société émiratie «Annajat Marine Shipping L.L.C». Aucune qualification n’est requise. Unique condition, les candidats doivent subir un examen médical obligatoire pour 900 dirhams, dans une clinique de Casablanca, pour prouver leur aptitude physique. L’Agence nationale de promotion de l’emploi et des compétences (Anapec) aurait été prévenue par plusieurs sources que cette affaire était une arnaque, sans réagir. La responsabilité de l’État avait donc été clairement définie. Le premier ministre de l’époque, Abderrahmane Youssoufi, était en effet le président du conseil d’administration de l’Anapec et Abbas El Fassi était le ministre de tutelle qui était intervenu à la télévision pour faire la promotion de l’initiative. Au final, les jeunes candidats avaient été grugés et quatre d’entre eux mirent fin à leurs jours. Abbas El Fassi est un commis de l’État. Il avait occupé plusieurs fonctions gouvernementales et diplomatiques avant d’être nommé premier ministre. Pur produit du système éducatif marocain, El Fassi est licencié en droit de l’Université Mohammed V de Rabat. Il a débuté sa carrière professionnelle en tant qu’avocat au barreau de Rabat en 1964, avant d’être élu bâtonnier de la même ville en 1975 et en 1977. El Fassi avait été plusieurs fois ministre (Habitat de 1977 à 1981, Artisanat et des Affaires sociales de 1981 à 1985, Emploi de 2000 à 2002, ministre d’État sans portefeuille de 2002 à 2007). Ex-ambassadeur ambassadeur du Maroc en Tunisie, ancien délégué permanent du Royaume auprès de la ligue Arabe (1985-1990), puis ambassadeur du Royaume en France (1990-1994), El Fassi mènera le bateau gouvernemental à bon port, changeant de plan de navigation à cause d’une tempête nommée «Printemps arabe».
Le premier ministre devient chef du gouvernement
Pris pour cible par les jeunes contestataires, le premier ministre Abbas El Fassi encaisse les coups en silence. L’adoption de la nouvelle Constitution en juillet 2011 et l’annonce de législatives anticipées viennent soulager El Fassi dont la santé était chancelante. Celui qu’on appellera «Chef du gouvernement» après l’adoption de la nouvelle loi suprême n’aura cependant pas le temps d’exercer les nouvelles prérogatives conférées au patron de l’exécutif. Une cérémonie de passation des pouvoirs aura lieu le 4 janvier 2012 au siège de la Chefferie du gouvernement. Abbas El Fassi passera le flambeau à Abdelilah Benkirane. Il quittera quelques mois plus tard le secrétariat général de l’Istiqlal, s’éclipsant de la scène politique.
Curieuse image ce 4 janvier 2012 dans l’enceinte du Mechouar à Rabat. C’est la première fois que le bâtiment de la Chefferie du gouvernement (ex-Primature) accueille un patron barbu. Abdelilah Benkirane, secrétaire général du Parti de la justice et du développement (PJD), sorti vainqueur aux élections législatives de novembre 2011, avait été nommé par le roi Mohammed VI le 29 novembre. Il mettra plus d’un mois à former son gouvernement qui a prêté serment devant le Souverain le 3 janvier 2012. Il s’agit du 30e gouvernement marocain depuis l’indépendance. Il connaîtradeux remaniements, le premier le 10 octobre 2013 et le second le 20 mai 2015.
Pour en revenir à Benkirane, il est né à Rabat en 1954. Licencié en sciences physiques en 1979, Benkirane a été affecté à l’École normale supérieure (ENS) de Rabat où il a exercé en tant que professeur. Son parcours politique débute dans les rangs de la jeunesse estudiantine, puis de la jeunesse ittihadie jusqu’en 1975. En 1976, il rejoint les rangs de la Chabiba islamiya et accède en 1986 à la présidence de la Jamaa islamiya qui deviendra sous son mandat le Mouvement de la réforme et du renouveau (MUR). En 1992, Abdelilah Benkirane dépose une demande de création du Parti du renouveau national, puis décide avec plusieurs de ses compagnons de rejoindre le Mouvement populaire constitutionnel et démocratique (MPCD), dirigé alors par feu Abdelkrim El Khatib. Àl’issue du Congrès extraordinaire de 1996, Benkirane est élu membre du Secrétariat général du MPCD, qui deviendra, en 1998, le PJD dont il prendra les rênes en 2008. Habitué des joutes verbales sous la coupole quand il était dans l’opposition, le désormais chef de gouvernement Benkirane fait son show lors de chaque séance retransmise à la télévision. L’homme se veut proche du peuple, il dit parler son langage. Son mandat n’a pas été de tout repos. Il devra faire face à une fronde au sein de la coalition gouvernementale. Lâché par l’Istiqlal, Benkirane poursuivra tout de même sa mission. Il osera aussi prendre des décisions courageuses notamment celles relatives à la réforme de la Caisse de compensation avec la suppression de la subvention des hydrocarbures. Chargé le 10 octobre 2016 par le roi Mohammed VI pour former un nouveau gouvernement après la victoire du PJD aux législatives, Abdelilah Benkirane négociera pendant cinq longs mois pour former une majorité sans y parvenir. C’est le blocage. Le 16 mars 2017, un communiqué du Cabinet royal informe les Marocains que le Roi allait désigner au plus vite une autre personnalité politique du PJD en tant que nouveau chef du gouvernement.
Le choix se portera sur Saad Dine El Otmani. Benkirane quittera la Chefferie du gouvernement après avoir géré les affaires courantes pendant six mois au lendemain de la nomination du 31e gouvernement le 5 avril 2017. Benkirane restera cependant très actif au sein de son parti en tant que secrétaire général, avant qu’El Otmani ne lui succède à la tête du parti en 2018. Sur les réseaux, Benkirane reste très visible. Dans sa toute dernière sortie, il demandait à El Otmani de démissionner du Secrétariat général du parti de la lampe après la débâcle électorale du PJD lors des élections générales au 8 septembre 2021.
Drôle de cérémonie de passation de pouvoir à la tête de l’exécutif entre les frères PJDistes. Benkirane s’en va, El Otmani s’installe. Ce théologien et psychiatre, originaire d’Inzegane est bardé de diplômes. Titulaire d’une licence en chariaa islamique de la faculté de la chariaa d’Ait Melloul, d’un master en théologie islamique et ses fondements de Dar El Hadith El Hassania à Rabat en 1987, d’un diplôme des études supérieures en études islamiques de la Faculté des lettres et sciences humaines de Rabat en novembre 1999, El Otmani a aussi étudié la médecine. Des études sanctionnées en 1987 par un doctorat en médecine générale de la faculté de médecine et de pharmacie de Casablanca, ainsi que par un diplôme d’études spécialisées en psychiatrie, en 1994, du Centre psychiatrique universitaire de Casablanca. Il a exercé en tant que médecin généraliste entre 1987 et 1990 et en tant que psychiatre à l’Hôpital des maladies psychiatriques de la ville de Berrechid entre 1994 et 1997, avant d’ouvrir son cabinet privé à Mohammedia.El Otmani mène parallèlement d’intenses activités scientifiques l’amenant àla publication de nombreux ouvrages etdizaines d’articles aux niveaux national et international. Sur le plan politique, El Otmani a été secrétaire général adjoint du PJD de 1999 à 2004, puis a été élu secrétaire général du PJD. Il a également été membre de la Chambre des représentants pour cinq législatures de 1997 à 2016. Saad Dine El Otmani a fait partie du gouvernement Benkirane entre 2012 et 2013, à la tête du ministère des Affaires étrangères et de la coopération. En tant que chef de la diplomatie marocaine, El Otmani n’a pas pu faire ses preuves devant l’imposant ministre délégué Youssef Amrani.
Pour ce qui est de son bilan à la tête du gouvernement, El Otmani n’a pas été aidé par la conjoncture. Hirak du Rif, grèves menées par plusieurs corps professionnels, pandémie de Covid-19…
Le gouvernement El Otmani connaîtra quatreremaniements. Le premier en octobre 2017 après le limogeage de trois ministres (affaire d’Al-Hoceima), le seconden août 2018 avec le remerciement de l’argentier du royaume Mohamed Boussaid qui sera remplacé par Mohamed Benchaâboun, le troisième le 9 octobre 2019 avec un réduction du nombre de ministres (24) et le dernier le 7 avril 2020 avec la nomination de Othman El Ferdaous au poste de ministre de la Culture, de la Jeunesse et des Sports en remplacement de Hassan Abyaba.Pendant les cinq dernières années, El Otmani a géré comme il pouvait. Mais ses interventions ronronnantes au Parlement, ses discours truffés de langue de bois et sa conciliation déconcertante ont eu raison de sa popularité aussi bien au sein de son parti qu’auprès des citoyens. Pour les militants du PJD, c’est à cause de lui que la loi portant usage licite du cannabis est passée et c’est lui qui a paraphé la reprise des relations diplomatiques entre le Maroc et Israël. Pour le commun des Marocains, le chef du gouvernement sortant a imposé l’heure GMT+1, créer le chaos la veille de Aïd Al-Adhal’année dernière et priver les citoyens de leurs libertés et revenus en décrétant des restrictions à tout bout de champ. L’homme en a pris pour son grade. Candidat malheureux aux législatives dans la circonscription Rabat-Océan, il a été devancé par de jeunes candidats d’autres formations politiques. Le dernier acte d’El Otmani, c’est sa démission du Secrétariat général du PJD. Sa carrière politique sera sans doute terminée avec la passation de pouvoir Aziz Akhannouch dans quelques jours.
Nommé chef du gouvernement par le roi le 10 septembre 2021, Aziz Akhannouch est né en 1961 à Tafraout. Titulaire d’un diplôme en gestion des entreprises de l’Université de Sherbrooke au Canada, le jeune Aziz rentrera au Maroc au moment où le pays vivait une ouverture politique. Il crée alors plusieurs entreprises opérant dans divers secteurs. Repéré par l’entourage du défunt Roi, il intègre le groupe de réflexion (G14) initié par le Conseiller royal André Azoulay. Il se retrouve alors aux côtés de brillants cadres tels que Driss Benhima, Mourad Chérif ou encore Taieb Fassi Fihri.
La première expérience politique d’Akhannouch remonte à 2003 quand il a été élu président du Conseil régional de Souss-Massa-Draâ. Nommé ministre de l’Agriculture et de la Pêche maritime en 2007, Akhannouch ne quittera plus jamais ce département, pilotant le Plan Maroc Vert puis le programme Génération Green. En 2016, Akhannouch est porté à la présidence du RNI. L’homme est apprécié en haut lieu. Il jouit d’une confiance sans faille. Mais auprès des masses populaires, Akhannouch n’a pas la côte. Son entreprise Afriquia sera même la cible d’une campagne de boycott en 2018 tout comme Centrale-Danone et les Eaux minérales d’Oulmès. Nonobstant, les militants du RNI jurent que c’est la personnalité idoine pour diriger le gouvernement. Ils ne tarissent pas d’éloges à son égard en soulignant qu’Akhannouch a un caractère solide et une grande capacité de travail. Mais cela ne suffit pas. Le chef du gouvernement doit être en phase avec les préoccupations des citoyens et avoir une connaissance des grands dossiers sociaux et économiques, en particulier pour la période post-Covid-19 qui exigera des décisions pas toujours populaires. Enfin, le futur chef du gouvernement devra être capable de composer avec l’opposition et transcender les rancunes personnelles.
Des personnalités de divers horizons et avec des tempéraments très différents se sont succédéà la tête de l’exécutif. Toutes n’ont pas réussi dans leur mission mais toutes auront marqué à leur manière l’histoire du pays en occupant le rang de deuxième personnage de l’État.
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