31 partis politiques sont en lice pour les élections générales du 8 septembre 2021. Un nombre trop élevé de partis et cela ne date pas d’aujourd’hui. La balkanisation du champ partisan a commencé il y a plusieurs années au fil des scissions et des créations de formations politiques sans assise ni idéologie. Les partis avancent en ordre dispersé pour les prochaines élections. Avec cette configuration, peut-on s’attendre à de grands changements dans le paysage politique ?

L’atomisation des partis traditionnels a donné naissance à une myriade de formations politiques de droite, de gauche, du centre droit, du centre gauche, de référentiel religieux… Ce phénomène a conduit, suite aux législatives de 2016, à un blocage institutionnel, faute de majorité claire. Selon le ministère de l’Intérieur, le nombre des instances politiques ayant pris part à l’opération de dépôt des candidatures relatives aux élections législatives, communales et régionales s’élève à 31 partis, y compris une alliance de partis fondée à l’occasion de ces élections. Il s’agit de la Coalition de la fédération de gauche (CFG) regroupant le Congrès national ittihadi (CNI) et le Parti de l’avant-garde démocratique et socialiste (PADS). Cette nouvelle coalition est née après la fin de l’alliance du CNI et du PADS avec le Parti socialiste unifié (PSU). Les trois formations avaient fait front commun au sein de la Fédération de la gauche démocratique (FGD) durant les dernières élections, parvenant à remporter deux sièges à la Chambre des représentants. La scène politique marocaine vit au rythme des alliances qui se font et se défont au gré des leaders des partis. Dans l’encyclopédie des partis politiques réalisée par Tafra, les partis politiques sont classés par groupes, même si «certains systèmes d’idées et de concepts, à l’instar de l’idéologie ou les grandes familles politiques qui constituent le Maroc, font encore, à ce jour, l’objet de débats», comme le précise l’association.

Nationalisme et gauche marocaine

Il y a tout d’abord les partis nationalistes créés pendant la période coloniale. Ils avaient comme objectif principal l’obtention de l’indépendance du Maroc. Le premier parti nationaliste prend officiellement le nom de Parti de l’Istiqlal (PI) le 10 décembre 1943 sous l’impulsion de Ahmed Balafrej, qui en est le secrétaire général fondateur, auquel succèderont Allal El Fassi qui prend le titre de « zaim », puis M’hamed Boucetta, Abbas El Fassi, Abdelhamid Chabat et enfin Nizar Baraka. Parti nationaliste de centre droit, défenseur de l’Islam, il a regroupé des figures emblématiques du Maroc des années 1950 et 1960 comme Mehdi Ben Barka.

Sur cette même idéologie, Mohamed Belhassan El Ouazzani décide de faire cavalier seul et crée un second parti sous le nom «Parti de la Choura et de l’Istiqlal» (Parti démocratique de l’indépendance, PDI). Le parti comptait en son sein des figures comme Ahmed Bensouda et Abdelhadi Boutaleb. Après l’indépendance du Maroc, les Istiqlaliens et les Chouris croiseront le fer autour de plusieurs questions, notamment lors de la formation du premier gouvernement de M’barek El Bekkaï.

Alors qu’à l’époque il n’y avait aucune visibilité sur le champ politique déterminée par des élections, Abdelhadi Boutaleb estimait qu’un tiers des ministères devait revenir au parti de l’Istiqlal, un autre tiers au parti de la Choura et de l’Istiqlal et le dernier tiers aux indépendants. Finalement, les Istiqlaliens ont obtenu neuf postes, les Chouris six postes et six pour les indépendants, ce qui poussa El Ouazzani à protester énergiquement.

Si le PI est aujourd’hui le plus ancien parti politique marocain toujours actif, son adversaire historique est tombé dans les oubliettes. Aujourd’hui, le PDI existe toujours, mais se contente de jouer un rôle de figurant. Il n’a pas tenu de congrès depuis 2013 et n’a aucun représentant au sein du Parlement. En 1959, une autre grande formation politique naîtra d’une scission au sein du courant nationaliste. Autour de Mehdi Ben Barka, Abderrahim Bouabid, Fqih Basri, Abdellah Ibrahim, l’Union nationale des forces populaires (UNFP) dame le pion aux deux partis nationalistes. Dès les élections municipales de 1960, cette formation de gauche apparaît dominatrice dans les milieux urbains. Même Abdelhadi Boutaleb rejoint le nouveau parti qui présidera le gouvernement sous la direction de Abdellah Ibrahim avec une orientation étatiste pour créer une économie nationale et attachée à la légitimité populaire. Mais en décidant de boycotter le référendum sur la première Constitution en 1962, l’UNFP s’isole.

En mars 1963, pour contrer le PI et l’UNFP lors des législatives de mai, un nouveau parti voit le jour. Il s’agit du Front de défense des institutions constitutionnelles (FDIC) dirigé par le directeur général du Cabinet royal, Ahmed Réda Guédira. La nouvelle formation politique s’allie avec d’autres partis existants dont le PDI. Lors des élections, le FDIC arrive en tête, mais sans obtenir la majorité, avec 47,9% des voix et 69 sièges sur 144. Il devance le PI qui récolte 28,5% des votes et 41 sièges, ainsi que l’UNFP (19,4%, 28 sièges). Le FDIC poursuivra sur sa lancée en connaissant du succès aux élections communales du 28 juillet, alors que des leaders de l’UNFP sont la cible d’arrestations. Mais le FDIC sera rapidement miné par des divisions avant de complètement disparaître de la scène politique. L’UNFP connaîtra également une scission quelques années plus tard pour donner naissance à l’Union socialiste des forces populaires (USFP) en 1972. C’est l’aile de l’UNFP, dite pendant un certain temps  » branche de Rabat « , qui sera aux commandes de l’USFP avec notamment Abderrahim Bouabib. La gauche marocaine se renforcera par la légalisation du Parti du progrès et du socialisme (PPS), après une longue traversée du désert des «camarades» communistes qui avaient tenté en 1968 d’obtenir l’autorisation pour le Parti de libéralition et du socialisme (PLS), sous la direction de Ali Yata. Ce dernier était l’un des membres du Parti communiste marocain fondé en 1943 comme succursale du Parti communiste français, avec comme secrétaire général un officier de l’armée française d’origine algérienne. Parmi les figures phares du PPS dans les années 1970, on retrouve Simon Lévy, Abdelaziz Belal, Abdellah Layachi et Abraham Serfaty.

La famille harakie

En 1957, dans un contexte de bras de fer entre la monarchie et le PI, plusieurs personnalités de l’Armée de libération nationale, de l’Administration et autres décident de créer le Mouvement populaire (MP), un parti misant sur le monde rural et l’Amazighité. Parmi les premiers dirigeants du parti, on retrouve Abdelkrim El Khatib, Lahcen Lyoussi, Abdallah El Ouagouti, M’barek El Bekkaïet Abbas El Messaadi et Mahjoubi Aherdan. Ce dernier était gouverneur de Rabat. Il raconte dans ses mémoires qu’une semaine après l’annonce de la naissance du parti, il est interdit et violemment attaqué par le PI dont le leader, Ahmed Balafrej, dirigeait l’exécutif. En organisant son assemblée constitutive juste après l’édiction, le 15 novembre 1958, du dahir des libertés publiques, le MP est reconnu au début de l’année 1959.

En 1963, les harakis s’allient au FDIC et remportent une part des 69 sièges obtenus par le parti de Guédira au Parlement. Dans la foulée, le MP entre au gouvernement, mais le FDIC s’écroule. En 1965, l’état d’exception proclamée par le Roi divise les harakis. «Au lendemain de la proclamation de l’état d’exception, un conflit a éclaté entre Mahjoubi Aherdan, secrétaire général du MP, et des membres du comité central qui étaient opposés à l’état d’exception et qui y voyaient une régression de la démocratie. Nous avons donc procédé à la tenue d’un congrès extraordinaire pour étudier la situation, mais nous avons été surpris d’entendre une annonce d’Aherdan à la radio où ce dernier expulsait plusieurs membres du parti (…). Par la suite, l’Intérieur a tenté de nous interdire d’organiser des rassemblements du parti pour expliquer la situation. Même le journal que je dirigeais, le Maghreb arabe, avait été saisi», écrit Abdelkrim El Khatib dans ses mémoires.

La même année, alors président du Parlement, El Khatib sera à son tour expulsé du MP et créera, quelques années plus tard, le Mouvement populaire démocratique constitutionnel (MPDC). Éjecté de la direction du parti, et remplacé par Mohand Laenser en 1986, Mahjoubi Aherdan créera le Mouvement national populaire (MNP). En 1996, Mahmoud Archane, commissaire de police et membre influent du MNP, se dispute avec Aherdan et créé le Mouvement démocratique et social (MDS). Plus tard, Bouazza Ikken fondera l’Union démocratique (UD), puis Chakir Achehbar le Parti du renouveau et de l’équité (PRE) en 2001 et Najib El Ouazzani le Parti Al Ahd en 2002. En mars 2006, la fusion du MP, du MNP et de l’UD est consacrée par un congrès. La Haraka se place aujourd’hui en tant que formation de centre droit.

Les partis administratifs

Même si beaucoup de ses leaders ont été emprisonnés, on colle au MP l’étiquette de premier parti de l’administration, car il a été créé pour contrer le PI. Quoi qu’il en soit, dans les premières années du Maroc indépendant, le MP rejoindra le FDIC qui apparaît clairement comme étant le parti de l’administration sans conteste. Derrière le slogan « Dieu, la Patrie, le Maroc », il se démarque en offrant un support inconditionnel au Roi. «Le F.D.I.C., dont un des objectifs était de gagner en mai 1963 la bataille des élections, associait à sa tête deux tempéraments différents : Guedira, l’avocat réfléchi, sorti des facultés françaises, animateur du parti des libéraux indépendants – le « club », disaient par dérision ses adversaires, – et Ahardane, le Berbère fougueux, habile à entraîner dans son sillage les gens des tribus, mais candidat malheureux aux élections législatives. Ministre de la Défense nationale, il est un des leaders de ce rassemblement de montagnards et de ruraux groupés par le Mouvement populaire. Au F.D.I.C. Ahardane apportait la masse, Guedira l’esprit d’organisation», écrivait le quotidien français Le Monde à l’époque.

15 ans plus tard, le Rassemblement national des indépendants (RNI) voit le jour sous l’impulsion d’Ahmed Osman, Premier ministre entre 1972 et 1979 et beau-frèredu Roi. L’idée était de regrouper les candidats indépendants qui ont obtenu la première place avec plus de 141 parlementaires lors des législatives de 1977, devenant la première force politique du pays.

Autre parti dit de l’administration, l’Union constitutionnelle (UC) créée en 1983 par Maâti Bouabid, ex-UNFPiste ex-Premier ministre entre 1979 et 1983. L’UC remportera haut la main le scrutin législatif de 1984.

PJD Vs PAM

Fait inédit dans l’histoire politique au Maroc, la création en 1998 du Pari de la justice et du développement (PJD) par Abdelkrim El Khatib en remplacement du MPCD. C’est l’un des éléments les plus spectaculaires de l’ouverture qui se traduit par l’alternance de 1998. Le parti prône un projet de société conservateur. C’est la première formation de référence islamique autorisée. Deux ans plus tôt, El Khatib avait ouvert les portes du MPCD au Mouvement unité et réforme (MUR) et à l’Alliance de l’avenir islamique, qui n’ont pas obtenu l’autorisation de se muer en partis et qui participent aux élections communales de juin 1997, puis aux législatives du 14 novembre 1997 remportant neuf sièges à la Chambre basse.

Le PJD, dont le secrétaire général est Abdelkrim El Khatib de 1998 à 2004, regroupe des membres de la Chabiba islamiya (la jeunesse islamique) fondée en 1969, légalisée en 1972 et interdite en 1976 après l’assassinat de Omar Benjelloun, dirigeant de l’USFP. Interdiction qui a duré jusqu’en 1982, date de scission de la Chabiba en trois groupes. Glanant plus de sièges au fil des scrutins (42 en 2002, 46 en 2007), le PJD remportera les législatives anticipées du 25 novembre 2011 avec 107 sièges après le plébiscite du référendum constitutionnel de juillet 2011. Le parti prendraalors les commandes du gouvernement, une première. Mais ce n’était pas gagner d’avance.

En 2008, le PJD aura des sueurs froides après la création du Parti authenticité et modernité (PAM) par Fouad Ali El Himma, ex-ministre délégué à l’Intérieuret qui deviendra par la suite conseiller du Roi. Les PJDistes en sont convaincus. Le PAM a été créépour contrer leur percée à l’instar du FDIC dans les années 1960. Aux élections communales de 2009, le PAM fait une véritable razzia en remportant près d’un cinquième des communes du pays. Il confirmera son statut de deuxième force politique lors des échéances électorales suivantes.

partis

Des micro-partis sans voix et des alliances sans lendemain

Une vingtaine de «petits» partis politiques participent aux élections sans remporter le moindre siège. Pour les élections du 8 septembre prochain, on s’attend à de meilleurs résultats pour ces formations politiques avec le quotient électoral qui va limiter le score des grands partis. Toutefois, la répartition des sièges sur la base des inscrits et non des votants donnera lieu à une mosaïque de partis avec 5, 8 ou 80 députés. Mais comment faire pour rationaliser un champ partisan quand toutes les alliances échouent ?

En effet, depuis la création de la Koutla nationale entre le PI et l’UNFP en 1970 pour s’opposer à la révision constitutionnelle de juillet 1970, aucune alliance n’a duré dans le temps. Ce front commun renaîtra de ses cendres le 17 mai 1992 grâce à la signature d’une charte constitutive de la Koutla démocratique par les leaders de cinq partis : l’USFP, le PI, le PPS, l’Organisation de l’action démocratique et populaire (OADP, ancêtre du PSU) et l’UNFP. Cependant, les leaders de la Koutla seront divisés en 1996 par rapport à la révision constitutionnelle annoncée en août 1996. L’UNFP et l’OADP quittent le navire de la Koutla. Le PI, l’USFP et le PPS poursuivront l’aventure malgré certaines crises jusqu’en 2011. Après la victoire du PJD, le PI rejoint seul le gouvernement dirigé par Abdelilah Benkirane, signant l’acte de décès de la Koutla. Pour faire face à la Koutla, Al Wifaq Al Watani (l’entente nationale) est créé en 1993 par le MP, l’UC et le Parti national démocratique (PND) et se définit comme étant un groupement de partis libéraux. Mais cette alliance ne durera pas au-delà des élections législatives.

Dans les années 2000, plusieurs autres alliances ont vu le jour comme l’Alliance des partis du centre (APC) ou encore le « G8 » regroupant 8 partis dans l’Alliance pour la démocratie (APD). Mais encore une fois, il s’agissait plus d’alliances électorales que d’alliances basées sur des idéaux ou des objectifs communs alors que plusieurs politologues estiment que la rationalisation du champ partisan passe par la constitution de trois blocs distincts. Un bloc avec les partis de gauche (USFP, PPS, PSU…), un bloc centriste (MP, RNI, PAM…) et un bloc conservateur (PI, PJD…).

La profusion de l’offre politique et la multiplication des petits partis peut être vue comme un signe de bonne santé d’un système politique basé sur le multipartisme et dans lequel tous les courants politiques sont représentés. Cependant, l’atomisation des grands partis se traduit par un morcellement de l’offre politique et décrédibilise l’action politique, sans oublier le fléau de la transhumance des élus qui accentue la volatilité électorale et amplifie la déception des électeurs. Il y aura certes un changement après les élections du 8 septembre parce que le contexte ne permet pas de garder la configuration actuelle, mais dans le fond aucun parti ne pourra appliquer le programme qu’il défend lors de l’actuelle campagne électorale. Le débat d’idées est certes productif, mais la profusion de formations politiques compliquera l’émergence de pôles politiques clairs à même de prendre les rênes de l’exécutif et d’assurer l’équilibre législatif avec une opposition forte, sur le chemin de l’édification démocratique. Et puis, il ne faut pas l’oublier, le plus grand parti de notre pays est celui des abstentionnistes.

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