Les images sont choquantes. Ce dimanche 15 août, après avoir attendu une partie de la journée aux portes de la ville, des dizaines de combattants talibans ont pris le palais présidentiel à Kaboul, clamant leur victoire sur le gouvernement afghan. Ceci intervient après qu’ils ont envahi le pays et se sont emparés de plus d’une douzaine de capitales provinciales. La chaîne Al-Jazeera a diffusé des images en direct de rebelles armés parcourant le palais présidentiel et posant devant des bureaux.
Le président Ashraf Ghani, soutenu par les Américains, a déclaré avoir fui son pays pour éviter un «bain de sang». Dans un message vidéo publié sur Facebook, il a reconnu que les insurgés avaient «gagné». Abdullah Abdullah, ancien vice-président et chef du Haut Conseil pour la réconciliation nationale, a confirmé le départ de Ghani sur Facebook. Les médias locaux ont rapporté qu’il se rendait au Tadjikistan voisin en compagnie de quelques proches collaborateurs.
Les talibans d’aujourd’hui sont-ils les mêmes qui ont dirigé l’Afghanistan de 1996 à 2001 ?
Ce n’est pas la première fois que l’Afghanistan est terrorisé par les talibans. Plusieurs ouvrages prouvent que les Afghans souffrent encore des séquelles causées par les talibans en 1996, lorsqu’ils ont pris la capitale afghane, Kaboul, renversant le régime du président Burhanuddin Rabbani. Les talibans ont également introduit et soutenu des châtiments conformes à leur interprétation stricte de la charia, tels que les exécutions publiques de meurtriers et de personnes adultères condamnés, et les amputations pour les personnes reconnues coupables de vol. Les hommes devaient se laisser pousser la barbe et les femmes devaient porter la burka.
Plus de vingt ans plus tard, les talibans s’emparent à nouveau de vastes étendues de territoire et ont à nouveau renversé le gouvernement. Toutefois, dans de nombreux cas, les talibans ont pu prendre le contrôle de grandes villes sans combattre, les forces gouvernementales ayant cédé pour éviter les pertes civiles.
Avec le départ de Ghani, le sort de l’Afghanistan devient aussi clair que le jour. Alors qu’ils contrôlent désormais l’immense majorité du territoire, les rebelles comptent y réinstaller leur régime d’autrefois, qu’ils appelaient Émirat islamique d’Afghanistan. C’est ainsi que le pays était nommé entre 1996 et 2001, jusqu’à ce que les forces militaires des États-Unis y débarquent après les attentats du 11 septembre.
Suhail Shaheen, un porte-parole basé au Qatar dans le cadre d’un groupe engagé dans les négociations, a exposé les grandes lignes politiques envisagées par les talibans. Selon ce responsable, ces derniers veulent prendre pacifiquement le contrôle du pouvoir en Afghanistan «dans les jours à venir». «Nous voulons un gouvernement islamique inclusif, ce qui signifie que l’ensemble des Afghans seront représentés dans ce gouvernement», assurent les rebelles, ajoutant : «nous en parlerons à l’avenir, lorsque la transition pacifique aura eu lieu». Repoussant les craintes du retour du pays au régime de la première domination talibane, Shaheen a déclaré que les talibans cherchent désormais à ouvrir «un nouveau chapitre» de tolérance. «Nous voulons travailler avec tous les Afghans, nous voulons ouvrir un nouveau chapitre de paix, de tolérance, avec une coexistence pacifique et une unité nationale pour le pays et le peuple afghan», affirment les insurgés.
Toutefois, malgré ces assurances, des témoignagesd’Afghans contestent cette ouverture affichée et dénoncent que «des femmes licenciées ont été ramenées chez elles de force et des exécutions sommaires ont repris…», rapporte France Info. Les talibans sèment déjà la terreur dans les zones conquises : meurtres de civils, décapitations et enlèvements d’adolescentes pour des mariages forcés, entre autres. «Les Afghans qui refuseront de se soumettre à la loi islamique version taliban n’auront d’autres choix que de quitter le pays ou de mourir», ajoute la même source.
L’entrée redoutée des combattants à Kaboul a provoqué un vent de panique dans la capitale, où des milliers d’habitants s’efforçaient de fuir. L’aéroport est devenu le centre d’une grande attention internationale alors que les gouvernements étrangers œuvrent à l’évacuation des citoyens. Tous les vols civils et militaires ont été suspendus à l’aéroport de la ville en raison de l’irruption sur le tarmac d’une foule de citoyens. Selon l’agence de presse américaine Associated Press, qui cite le département d’État, la situation chaotique à l’aéroport a entraîné la mort de sept personnes, dont celles qui sont tombées d’un cargo de l’armée américaine lors du décollage.
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Responsabilité des États-Unis
L’attention du monde entier a été rivée sur les talibans en Afghanistan à la suite des attentats du 11 septembre 2001 contre le World Trade Center à New York. Les rebelles ont été accusés de fournir un sanctuaire aux principaux suspects, notamment Oussama Ben Laden et son mouvement Al-Qaïda.
Naturellement, l’Amérique et le groupe terroriste n’ont jamais vu les choses du même œil. Cela a changé en 2018, lorsque les États-Unis et les talibans ont signé un accord de paix. Ils ont signé un autre en février de l’année dernière. Malgré cette entente, les talibans ont continué à tuer les forces de sécurité et les civils afghans en 2021.
En dépit des graves inquiétudes des responsables afghans quant à la vulnérabilité du gouvernement face aux talibans sans soutien international, le président américain Joe Biden a annoncé en avril 2021 que toutes les forces américaines quitteraient le pays avant la date symbolique du 11 septembre.
Le retrait des États-Unis du pays a ainsi ouvert la voie aux talibans pour affronter et vaincre les forces de sécurité afghanes. De nombreuses grandes villes sont tombées, y compris la ville clé de Jalalabad, dont les talibans se sont emparés dimanche.
Face à la chute rapide des forces nationales, les responsables de Biden admettent une erreur de calcul. Toutefois, le président américain, quidoit s’adresser aux Américains au sujet de l’Afghanistan à 19h45 GMT depuis la Maison-Blanche, a défendu dimanche sa décision de mettre fin à cette longue guerre. «Je suis le quatrième président à gouverner avec une présence militaire américaine en Afghanistan (…) Je ne veux pas, et je ne vais pas, transmettre cette guerre à un cinquième», a-t-il lancé. L’image de Washington, qui déplore 2.500 personnes tuées, ainsi qu’une facture de plus de 2.000 milliards de dollars, en ressort profondément écornée.
Panique internationale
L’évolution rapide de la situation a suscité confusion et inquiétude alors que et les gouvernements du monde entier surveillent la fin amère de près de deux décennies de guerre. Pour Antonio Guterres, secrétaire général des Nations Unies (ONU), les besoins humanitaires du pays sont une priorité. «Le secrétaire général est particulièrement préoccupé par l’avenir des femmes et des filles, dont les droits durement acquis doivent être protégés», a indiqué l’ONU dans un communiqué. L’organisme a ainsi appelé dimanche les talibans et toutes les autres parties afghanes «à la plus grande retenue». Le Conseil de sécurité de l’ONU s’est réuni lundi à 14h à New York pour débattre de la situation en Afghanistan.
Le Royaume-Uni a critiqué son allié américain. Le Premier ministre britannique Boris Johnson a appelé les Occidentaux à adopter «une position commune» face aux talibans «pour éviter que l’Afghanistan ne redevienne un terreau pour le terrorisme». Johnson a même convoqué les députés au Parlement, mercredi, pour évoquer le sujet, et ce, malgré les vacances estivales. Londres a parallèlement annoncé le redéploiement de 600 militaires pour évacuer les ressortissants britanniques.
De son côté, la chancelière allemande Angela Merkel a qualifié lundi d’«amère» la situation en Afghanistan. Soulignant que la décision du retrait des troupes occidentales avait été prise par les États-Unis «pour des raisons de politique intérieure», elle a expliqué comprendre la décision prise par le président américain. L’Allemagne a entamé dimanche soir l’évacuation des membres du personnel de son ambassade à Kaboul, actuellement présents à l’aéroport, a annoncé Heiko Maas, ministre des Affaires étrangères.
En France, le gouvernement est également inquiet face à l’arrivée des talibans. Selon la présidence, Emmanuel Macron «suit heure par heure la dégradation très préoccupante de la situation». Un conseil de défense relatif à la situation en Afghanistan a été tenu lundi à midi en visioconférence, a rapporté l’Élysée. Macron s’exprimera ce soir sur la situation en Afghanistan. Paris a également envoyé des renforts militaires pour faciliter l’évacuation de ses ressortissants civils et diplomates. Une «priorité absolue» pour l’Élysée.
Les Indiens, également affectés, regardaient avec effroi le gouvernement afghan s’effondrer. L’Afghanistan est un pays voisin et ami dans lequel l’Inde a investi pas moins de trois milliards de dollars, estime The Indian Express. Tout est désormais tombé aux mains des talibans.
La Turquie, quant à elle, s’inquiète de l’afflux de réfugiés en provenance de ce pays en guerre. Ainsi, ce pays entend œuvrer avec le Pakistan pour la stabilisation de la situation en Afghanistan afin d’enrayer cet afflux, a affirmé dimanche le président turc Recep Tayyip Erdogan. «La Turquie est confrontée à une vague migratoire croissante d’Afghans, qui transitent par l’Iran. Nous allons continuer de fournir des efforts pour permettre le retour de la stabilité dans la région, à commencer par l’Afghanistan», a-t-il dit. «Nous sommes déterminés à mobiliser tous les moyens à notre disposition pour y parvenir», a-t-il ajouté.
La Chine, la Russie et l’Iran ouverts à l’arrivée des talibans
La Chine a affirmé qu’elle souhaite avoir des «relations amicales» avec les insurgés. Pékin «respecte le droit du peuple afghan à décider de son propre destin et de son avenir», a affirmé Hua Chunying, une porte-parole de la diplomatie chinoise.
De son côté, Moscou ne prévoit pas d’évacuer son ambassade à Kaboul, la Russie faisant partie des pays ayant reçu des garanties de la part des talibans quant à la sécurité de leurs diplomates. Ce pays n’a toutefois pas encore décidé de reconnaître ou non le nouveau pouvoir afghan. Cette reconnaissance dépendra de ses «agissements», a indiqué Zamir Kaboulov, l’émissaire du Kremlin pour l’Afghanistan. «Nous allons regarder attentivement à quel point leur approche de la gouvernance du pays sera responsable (…). Et les autorités russes vont en tirer les conclusions nécessaires», a poursuivi le diplomate russe, ajoutant que l’ambassadeur de Russie à Kaboul va rencontrer les talibans ce mardi.
Ebrahim Raïssi, le nouveau président iranien, s’est, quant à lui, réjoui de «la défaite» des États-Unis en Afghanistan, qui devait se transformer en une «opportunité pour établir la sécurité et une paix durable» dans ce pays. Il a assuré que Téhéran «tenait aux relations de bon voisinage avec l’Afghanistan», indique un communiqué officiel publié sur le site de la présidence.
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