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Lors de l’annonce des résultats des élections des présidents des 12 régions du Maroc suite au scrutin régional tenu en septembre 2015, la presse s’est emballée en annonçant les noms des présidents dont le statut était alors assimilé à celui de ministre. En effet, au regard des nouvelles prérogatives conférées par la loi sur les régions promulguée en 2015, les présidents des conseils régionaux ont vu leurs attributions élargies en tant qu’ordonnateurs des finances des régions. Ils sont aussi chargés de l’exécution du programme de développement et du schéma d’aménagement de leurs régions. Mais durant les six dernières années, peu de choses ont changé dans la gestion régionale. Certains présidents ont brillé par leur départ fracassant, d’autres par leur absence lors des grands événements et crises qu’a connus le Maroc.
Transfert des compétences
Sur les présidents des 12 régions du Maroc, deux ont démissionné en 2019 et auxquels deux femmes ont succédé. Il s’agit des régions Tanger-Tétouan-Al Hoceima et Guelmim-Oued Noun. Tous les présidents des conseils régionaux sans exception ont été confrontés à des difficultés de taille. Censés élaborer des projets pour stimuler la création d’emploi et améliorer le quotidien des citoyens, les Plans de développement régionaux (PDR) sont un exemple concret de l’impuissance des conseils régionaux. S’ils sont autonomes d’un point de vue réglementaire, les conseils des régions ont été freinés dans leur élan par la nécessité de coordonner avec les provinces et les communes, sans oublier l’exigence d’une concordance des PDR avec les orientations des politiques publiques de l’État.
Le ministre de l’Intérieur, par le biais de la Direction général des collectivités territoriales, a rejeté des PDR ou demandé leur révision parce que leur montage financier était impossible à tenir. L’autonomie financière étant acquise, les élus s’en sont donnés à cœur joie en imaginant des projets qu’il est quasiment impossible de réaliser. Avec l’entrée en vigueur de la loi sur la déconcentration, les compétences de l’État central seront réduites au profit des collectivités territoriales. Les régions seront-elles capables de faire bon usage de leurs nouvelles prérogatives? La réponse durant le prochain mandat…
Des blocages répétitifs et un firewall nommé tutelle
Plusieurs conseils régionaux connaissent des blocages à cause des divergences entre leurs membres. L’exemple le plus frappant est celui de la région Drâa-Tafilalet. Depuis 2019, aucun projet n’a pu être exécuté à cause de la non-adoption du budget du Conseil. L’opposition bloque tout projet préparé par le président et son équipe. L’Intérieur, via le wali de la région, a dû intervenir à plusieurs reprises pour débloquer la situation. En effet, l’Intérieur continue à surveiller le fonctionnement des conseils régionaux à travers les procès-verbaux (PV) des sessions transmis aux walis. Ces derniers peuvent s’opposer à leur exécution s’ils constatent des irrégularités ou des dépassements des prérogatives. Le visa du wali est aussi nécessaire pour l’application de certaines décisions du Conseil,comme le programme de développement et le schéma d’aménagement du territoire, en plus de l’organisation de l’administration de la région, la gestion déléguée et toutes décisions ayant un impact sur les dépenses et les recettes de la région.
Problème de ressources
Les conseils régionaux ont failli à leur mission parce qu’ils ne sont pas outillés pour gérer les différents dossiers. Sans ressources humaines qualifiées, la région est passée du statut d’organe de délibération à celui d’ordonnateur. De l’aveu du ministre délégué auprès du ministre de l’Intérieur, Noureddine Boutayeb, la fonction publique ne permet pas de recruter des ressources humaines expérimentées, ce qui constitue une véritable entrave à la régionalisation avancée. Les régions ont besoin de cadres qualifiés spécialisés dans le développement, des ingénieurs, des financiers, pour monter un projet et l’exécuter. Pour régler en partie ce problème, des Agences régionales d’exécution des projets (AREP) ont été créées. Elles ont pour mission de professionnaliser l’administration régionale et d’assurer la continuité de l’exécution des projets. Côté ressources financières, les 10 milliards de DH (MMDH) de budget alloués par le gouvernement aux régions demeurent insuffisants.
Pour assurer la mise en œuvre des principes de convergence et de coordination, six contrats États-Régions ont été bouclés pour un montant de 25 MMDH. Des programmes conjoints seront donc lancés dans ce cadre contractuel. De quoi consolider les stratégies nationales au niveau territorial. La loi n° 47-18 portant réforme des Centres régionaux d’investissement (CRI) et création des Commissions régionales unifiées d’investissement (CRUI) a permis aux CRI de se doter de l’autonomie administrative et financière. Leurs prérogatives ont été élargies en matière de gestion des dossiers d’investissement, de leur suivi et d’incitation de l’investissement au niveau régional. Suite à cette importante réforme,le nombre des projets d’investissement dont ces centres assurent l’accompagnement aaugmenté de près de 50%entre 2019 et 2020 et le délai moyen d’étude des dossiers estdésormais de moins d’un mois contre plus de 100 jours en 2019.
Grandes disparités
Quatre des 12régions du Maroc représentent environ 50% du produit intérieur brut (PIB). La dernière note d’information du Haut-Commissariat au Plan (HCP) relative aux comptes régionaux de l’année 2019 révèle les grandes disparités qui existent entre les 12 régions du Maroc. Les trois régions de Casablanca-Settat, de Rabat-Salé-Kénitra et de Tanger-Tétouan-Al Hoceima ont créé 58% de la richesse nationale aux prix courants, avec 31,8%, 15,3% et 10,9% respectivement. Aussi, cinq régions ont généré 34,7% du PIB: Marrakech-Safi avec 8,5%, Fès-Meknès avec 8,4%, Souss-Massa avec 6,7%, Béni Mellal-Khénifra 6% et l’Oriental avec 5,1%.
Pour ce qui est de la répartition par secteur, les activités primaires restent l’apanage de six régions qui ont créé à peu près les trois quarts de la valeur ajoutée agricole. Rabat-Salé-Kénitra, Fès-Meknès, Casablanca-Settat, Marrakech-Safi, Souss-Massa et Tanger-Tétouan-Al Hoceima ont contribué pour 73% à la création de la valeur ajoutée nationale du secteur primaire en 2019 au lieu de 74,9% en 2018. Les activités du secteur secondaire sont concentrées pour leurs parts dans deux régions, à savoir Casablanca-Settat et Tanger-Tétouan-Al Hoceima qui ont participé pour 56,8% à la valeur ajoutée nationale du secteur en 2019. Enfin, une proportion de 59,4% de la richesse crée par les activités tertiaires est à imputer aux trois régions de Casablanca-Settat, de Rabat-Salé-Kénitra et de Tanger-Tétouan-Al Hoceima.
Par ailleurs, six régions présentent un PIB par habitant supérieur à la moyenne nationale (32.394 DH) avec un écart absolu moyen de 13.115 DH en 2019. Enfin, les régions de Casablanca-Settat, de Rabat-Salé-Kénitra et de Fès-Meknès ont accaparé un peu plus de la moitié (51,5%) des dépenses de consommation finale des ménages (DCFM) au niveau national, avec 25%, 14,8% et 11,7%, respectivement. Des disparités criantes que le fonds de solidarité interrégional et le fonds de mise à niveau social peinent à résorber.
La fonction de président de la région
Le terrain de la gestion de la chose publique régionale n’a pas encore été totalement balisé pour un changement qualitatif dans le mode de gouvernance territoriale. De ce fait, lesprésidents des régions, ordonnateurs du budget de leurs territoires respectifs, aussi bien en termes de dépenses que de recettes, ont été peu entreprenants. «Ils ont été très prudents. La réglementation autorise, par exemple, un président à contracter des prêts au nom de sa région. Rares ceux qui en ont usé durant les six années de leur mandat», commenteun politologue.
Les présidents des conseils régionaux n’ont pas pu développer leurs propres capacités de financement alors que les régions doivent bénéficier progressivement des recettes de l’impôt sur les sociétés (IS), de l’impôt sur le revenu (IR) et des taxes sur les contrats d’assurance. Le président de la région est aussi chargé de l’exécution du programme de développement et du schéma d’aménagement de la région. Idem pour les schémas de transport et l’aménagement du réseau routier en milieu rural.
Pour ce qui est de la proximité et l’écoute des attentes et aspirations des citoyens, c’est une chimère. Selon la loi, la président du conseil régional est appelé à traiter les pétitions ou les motions de législation formulées par les citoyens. La loi sur les régions fixe à au moins 300 le nombre de signatures nécessaires pour les régions de moins de 1 million d’habitants, 400 pour celles entre 1 et 3 millions de personnes et 500 signatures pour les régions dépassant les 3 millions d’habitants. En six ans, aucun des 12 conseils régionaux n’a communiqué sur ça. De plus, lors des crises majeures (inondations, incendies, pandémie), les présidents des régions sont aux abonnés absents. Seul fait marquant: la présence de Sidi Hamdi Ould Errachid et Ynja Khattat, respectivement présidents des régions de Laâyoune-Sakia El-Hamra et Dakhla-Oued Eddahab aux tables rondes de Genève sur le Sahara en 2018.
Le chantier stratégique de la régionalisation avancée a pour objectif d’instaurer un modèle de développement socio-économique territorial inclusif et durable. Aujourd’hui, on en est encore très loin. Les concepts de marketing territorial, de compétitivité régionale, de fiscalité locale incitative sont restés de simples slogans électoraux. Durant le prochain mandat, les présidents de régions sont appelés à faire preuve de plus d’ingéniosité pour être en phase avec l’esprit de la régionalisation avancée et avec les attentes des citoyens. Ils ne devront pas se contenter de gérer le quotidien mais de monter au créneau pour élaborer des stratégies régionales de développement durable. C’est l’essence même de leur mission.
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