«Si le Maroc satisfait les besoins en eau de sa population aujourd’hui, c’est grâce à la politique des barrages initiée par feu Hassan II dans les années 1960». Cet axiome rabâché par les spécialistes de la question de l’eau et par les officiels ne suffit pas à cerner tous les aspects de la politique hydraulique du royaume. Au mois d’octobre 2020, plusieurs localités du Souss, y compris Agadir, ont connu des restrictions d’approvisionnement en eau potable. Un rationnement dû à la succession des années de sécheresse qui ont considérablement réduit les réserves des barrages qui alimentent la région.
Ce n’est qu’à la fin du mois de janvier 2021 que les citoyens gadiris et les agriculteurs soussis ont pu reprendre une vie normale grâce à l’amélioration de la situation hydrique à Souss-Massa. Ceci étant, la situation des barrages de la région, arrêtée au 14 juillet 2021, n’est pas si reluisante. La réserve totale est de 200,20 millions de m3 soit un taux de remplissage moyen de 27,39%. Mais la région compte énormément sur la station de dessalement de l’eau de mer de Chtouka Aït Baha opérationnelle depuis la mi-juillet 2021. Elle aura coûté 3,8 milliards de DH (MMDH).
Ressources et infrastructures
Au Maroc, on estime les ressources en eau à 22 milliards de m3 par an répartis entre l’eau de surface (18 milliards de m3) et l’eau souterraine (4 milliards de m3). Pays à stress hydrique élevé, le royaume a, dès son indépendance, mis la question de l’eau parmi les priorités de ses plans de développement successifs. Conscient de l’enjeu de la gestion des ressources en eau pour la nation marocaine et ses générations futures, feu Mohammed V entama une réflexion autour de cette question, vu l’intérêt porté au secteur agricole dès le plan quinquennal 1960-1964. Mais c’est sous feu Hassan II que la vraie stratégie hydraulique du Maroc prendra forme quand il annonce, le 18 septembre 1967 à Tanger, une politique des barrages et un objectif national d’un million d’hectares irrigués avant la fin du siècle.
«Le traitement d’une question primordiale comme la nécessité d’une gestion à long terme de l’eau réside dans le fait de s’engager dans la construction d’un barrage par an. J’annonce donc un objectif national de réaliser un million d’hectares irrigués», promettait le défunt Roi.
La politique hassanienne de l’eau est née. Elle marquera son règne et sera une réussite avec l’atteinte de son objectif deux ans avant le décès du Souverain et trois ans avant la date butoir. Aujourd’hui, le Maroc dispose de 149 grands barrages d’une capacité de plus de 19 milliards de m3, en plus de 133 barrages plus petits. Et ce n’est pas fini. Les travaux pour la construction de cinq grands nouveaux barrages sont programmés en 2021, pour une enveloppe budgétaire globale estimée à 4,8 milliards de DH et une capacité de 525 millions de m3. Ces projets font partie du programme national d’approvisionnement en eaux potables et d’irrigation 2020-2027. C’est en fait un programme de « rattrapage »voulu par le roi Mohammed VI en 2019 quand il a constaté que la stratégie nationale de l’eau, lancée en 2009, connaissait énormément de retard dans son exécution surtout en matière de construction des grands barrages et des stations de dessalement.
Pour ce qui est du dessalement, cette option est appropriée pour atténuer le stress hydrique du point de vue des experts. Même si l’investissement est lourd, cette solution est idoine pour faire face au tarissement des ressources en eau douce. Le Maroc a accumulé une expérience non négligeable avec plusieurs stations édifiées à Laâyoune, Boujdour, Tan Tan et Akhfenir. La station de dessalement de Chtouka Aït Baha s’appuyant sur la technologie d’osmose inverse a commencé, le 14 juillet 2021, à produire ses premiers mètres cubes d’eau, après 36 mois detravaux. Les villes atlantiques de Dakhla, Safi, et Casablanca, ou encore la cité méditerranéenne d’Al Hoceima, seront aussi dotées de station de désalinisation de l’eau de mer. Celle de Casablanca aura une capacité de production de 300 millions de m3 et alimentera en eau potable la métropole et sa région, soit une population de 7,4 millions d’habitants.
Secteurs aquavores et NMD
La raréfaction de l’eau nous oblige à repenser de fond en comble notre modèle de développement encore tropaquavore. Ce n’est un secret pour personne, le plus grand consommateur en eau est le secteur agricole. D’après les chiffres du ministère de l’Équipement, du Transport, de la Logistique et de l’eau, en 2020, la demande en eau agricole a été estimée à 14,5 milliards de m3 alors que la demande en eau potable, industrielle et touristique a été évaluée à près de 1,75 milliard de m3. Le gap est énorme.
Dans le rapport sur le Nouveau modèle de développement (NMD), la Commission présidée par Chakib Benmoussa place la préservation des ressources en eau comme choix stratégique numéro 5. Elle plaide pour une meilleure valorisation de la ressource et une gestion plus rigoureuse de sa rareté pour les générations actuelles et futures. Selon les membres de la Commission spéciale sur le modèle de développement (CSMD), «la raréfaction de l’eau menace directement les équilibres économiques, environnementaux, et sociaux du pays», peut-on lire sur le rapport général. La CSMD détaille quatre propositions dans son approche de la gestion de l’eau. Elle préconise en premier lieu de réformer l’organisation du secteur et de renforcer la transparence sur les coûts de la ressource à chaque étape de sa mobilisation. En second lieu, elle suggère de mettre en place une tarification qui reflète la valeur réelle de la ressource et incite à la rationalisation des usages et à la gestion de sa rareté. Sur la troisième proposition, les connaisseurs de la gestion de la chose publique émettent beaucoup de réserves. La CSMD se prononce pour la création d’une Agence nationale de gestion de l’eau (ANGE) pour remplacer la Commission interministérielle de l’eau. Il faudrait déjà que le Conseil supérieur de l’eau et du climat soit efficient. Enfin, les besoins en eau ne pourront être satisfaits à l’avenir sans la mobilisation des ressources non-conventionnelles et sans la préservation des ressources souterraines. Sur ce point, tout le monde est d’accord.
Les années sèches
Le Maroc a connu plusieurs années de sécheresse durant le dernier siècle et même bien avant. La sécheresse est un phénomène naturel récurrent dans le royaume. Une étude dendrochronologique réalisée au début des années 1980 a permis d’en reconstituer l’histoire tout au long du dernier millénaire (1000–1984). Elle a révélé que 89 épisodes de sécheresse d’une durée d’un à six ans étaient survenus et que la période de retour était d’environ onze ans. La durée moyenne d’une sécheresse s’établissait à 1,6 an et le XXe siècle a été l’un des plus secs de la période visée.
Dans les années 1980, le rationnement de l’eau était quasi automatique pendant l’été dans les villes intérieures. En 1995, Tanger mourrait de soif. La ville du détroit a dû ramener de l’eau potable par bateaux à partir du port de Jorf Lasfar. De nombreuses habitations s’étaient dotées de réservoirs individuels pour accumuler l’eau pendant les trois heures d’alimentation nocturne par le réseau. Les barrages alimentant la région étaient sous-dimensionnés par rapport aux besoins et la vétusté du réseau urbain de distribution d’eau datant de l’époque où Tanger avait un statut international.
Sécurité hydrique
Le stress hydrique est une donne qui ne date pas d’aujourd’hui au Maroc. Un pays est considéré en situation de pénurie hydrique lorsque la disponibilité en eau est inférieure à 1.000 m3/habitant/an. «Au Maroc, la situation est encore plus alarmante puisque ses ressources en eau sont actuellement évaluées à moins de 650 m3/habitant/an, contre 2500 m3 en 1960 et devraient baisser en deçà de 500 m3 à l’horizon de 2030», s’alarmait le Conseil économique, social et environnemental (CESE) en 2019. Pour le CESE, en dépit de sa rareté, l’eau continue d’être surexploitée et gaspillée, notamment les nappes souterraines, faisant fi des autorisations imposées par la loi. Par gaspillage, le Conseil faisait référence à l’arrosage des espaces verts et de certains projets touristiques, sans omettre les formes de consommation non soutenables appliquées dans l’agriculture. Parmi les recommandations pour optimiser l’utilisation des ressources en eau disponibles:
- l’arrosage des espaces verts publics et des structures sportives en réutilisant les eaux usées;
- systématiser l’étude d’impact et d’efficacité hydrique pour les projets d’investissements notamment dans l’agriculture, l’industrie et le tourisme;
- accélérer le recours massif aux ressources hydriques non conventionnelles, notamment à travers la généralisation du dessalement de l’eau de mer pour les zones côtières et la réutilisation des eaux usées épurées.
Jusqu’à ce jour, la répartition des ressources en eau demeure inéquitable. Le projet des «autoroutes de l’eau» imaginé au temps du protectorat, relancé par l’ex-secrétaire d’État chargée de l’Eau, Charafat Afilal, visant à transporter l’eau du nord vers le sud semble abandonné. Un méga chantier, très coûteux certes (36 MMDH), qui aurait permis d’atténuer les effets de la sécheresse sur la première région exportatrice d’agrumes et de primeurs, Agadir. D’ailleurs, comment se fait-il que l’agriculture maraîchère et l’arboriculture fruitière soient concentrées dans cette région aride ? Agrumes, tomates, cucurbitacées sont très consommateurs en eau, pourquoi continue-t-on à les produire massivement pour les exporter? C’est comme si le Maroc, qui peine à couvrir ses besoins en eau, exportaitune partie de son eau douce. Beaucoup de points que le gouvernement sortant ou entrant doit revoir.