Temps de lecture : 11 minutes
Temps de lecture : 11 minutes
Temps de lecture : 11 minutes
Que serait le Maroc sans les fameux extraits d’acte de naissance de couleur verte? Renseignés à la main par des fonctionnaires de l’état civil à l’écriture indéchiffrable et utilisant du papier carbone pour les copies multiples demandées, ces extraits sont quasiment illisibles. Ils sont pourtant indispensables pour toutes les démarches administratives qui concernent les citoyens mineurs et pour certaines relatives aux personnes majeures même si la Carte nationale d’identité électronique (CNIE) est censée suffire. Quoiqu’il en soit le projet de loi 36-21 vise à mettre à jour le cadre juridique de l’état civil marocain et le digitaliser à 100%, un processus entamé en 2008.
État civil: une institution créée par le protectorat
Avant en 1950, il n’y avait aucune consignation des naissances, des décès ou du changement de situation matrimoniale dans le royaume. Les actes adoulaires faisaient l’affaire pour ce qui est de la preuve de filiation ou de l’identité selon les règles du droit musulman mais aussi pour le mariage, le divorce ou l’héritage. Pourtant, dès 1915, le protectorat met en place un régime d’état civil instauré par le Dahir du 4 septembre 1915. Mais ce régime était réservé uniquement aux Français et étrangers résidant au Maroc. Ce n’est qu’en 1950qu’un Dahir institue un état civil pour les citoyens marocains mais uniquement pour l’inscription des naissances et des décès qui demeure facultative. Cette inscription n’était obligatoire que pour les personnes bénéficiant d’une aide familiale ou des prestations servie par la Caisse nationale de sécurité sociale et les personnes dont le père est enregistré à l’état civil.
Avec l’avènement de l’indépendance en 1956, le législateur a étendu le régime à tous les citoyens. Les naissances avant 1956 sont inscrites sans date précise et même l’année est approximative. Certaines personnes n’ayant pas de nom de famille opteront pour des surnoms. Le surnom étant déterminé par l’entourage d’une personne, celle-ci ne le choisit pas finalement puisqu’il lui est souvent imposé par les tiers. La légende raconte qu’un père de famille s’est dirigé en 1964 au Bureau d’état civil dans la ville de Fès. L’officier chargé de l’inscription lui demande son nom de famille. Le pauvre citoyen exaspéré par les questions de l’officier répond :«Rja f’Allah» (notre espoir est en Dieu). L’officier ne bronche paset note ce nom de famille sur le registre d’état civil.
Organisation de l’état civil marocain
L’institution de l’état civil occupe une place stratégique dans l’administration marocaine. On parle d’une mission régalienne exercée par les présidents des conseils communaux, officiers d’état civil, pour le compte de l’État et sous sa responsabilité. C’est aussi l’unique institution qui accompagne le citoyen de sa naissance jusqu’à son décès. N’oublions pas aussi que les données de l’état civil sont primordiales pour tout programme de développement socio-économique. La loi n°37-99 entrée en vigueur en 2003 a déterminé le champ du nouveau régime d’état civil accompagnant l’évolution de la société marocaine. Elle a aussi défini ce qu’est « l’état civil », une notion peu explicitée dans les textes historiques (Dahirs de 1915 et 1950).
«On entend par « état civil », le régime consistant à consigner et à authentifier les faits civils fondamentaux relatifs aux personnes tels que la naissance, le décès, le mariage et le divorce ainsi qu’à consigner dans les registres de l’état civil toutes les indications s’y rapportant selon leur nature et les dates et lieu de leur survenance», stipule l’article premier de ladite loi qui soumet tous les Marocains au régime d’état civil. Cette même loi a d’ailleurs délimité le choix des prénoms pour les nouveau-nés. Tout prénom «doit présenter un caractère marocain et ne doit être ni un nom de famille ni un nom composé de plus de deux prénoms, ni un nom de ville, de village ou de tribu, comme il ne doit pas être de nature à porter atteinte aux bonnes mœurs ou à l’ordre public», selon l’article 21. Ce même article interdisait l’utilisation de sobriquet ou titre tel que » Moulay « , » Sidi « , ou » Lalla « .
Le Programme de modernisation de l’état civil
En mai 2008, le département de l’Intérieur lance un Programme de modernisation de l’état civil dans le but de la mise en place, à terme, d’un Registre national de l’état civil puis d’un Registre national de la population avant que l’idée de création du Registre social unique (RSU) n’émerge. Le but recherché était de rapprocher l’administration du citoyen et desimplifier l’accès aux services de l’état civil. Pour ce faire, le Programme de modernisation s’est articulé autour de six composantes:
- Reprise de l’historique: constitution d’une base de données électronique de l’état civil à travers la saisie et la fiabilisation de plus de 55millions d’actes d’état civil depuis 1915;
- Nouveaux services aux citoyens : à travers un système d’information qui prend en charge la chaine de valeurs du métier de l’état civil et la mise en place de nouveaux services aux citoyens;
- Infrastructure technologique : mise en place d’une plateforme nationale qui permettrait l’hébergement de la base de données électronique de l’état civil, la connexion des bureaux de l’état civil en permanence et en toute sécurité via un réseau et la fourniture aux institutions partenaires de l’état civil des services distants en temps réel;
- Rénovation des bureaux de l’état civil : réaménagement des bureaux pour qu’ils soient visibles et uniformisés offrant des conditions améliorées pour l’accueil des citoyens et le travail du personnel de l’état civil et garantissant la sécurité des données personnelles des individus;
- Formation, déploiement et accompagnement: 12.000 agents et responsables de l’état civil ciblés;
- Réforme juridique : révision du cadre juridique permettantl’adaptation du droit de l’état civil à l’administration électronique en favorisant le passage au Registre national électronique de l’Etat civil.
Partant de là, un grand travail de numérisation de 55 millions d’actes d’état civil depuis 1915 a été entamé en 2019. Le résultat escompté par cette opération est de constituer des actes électroniques assortis de leurs images scannées reflétant pour chaque bureau d’état civil, l’image fidèle des actes physiques. On parle ici des registres de l’état civil archivés dans les différents bureaux de l’état civil à travers tout le Maroc.
Il faut savoir que les registres de l’état civil sont tenus en double exemplaire dans chaque bureau de l’état civil à l’intérieur du Royaume et en trois exemplaires dans chaque bureau en dehors du Royaume. Par ailleurs, depuis 2017 et après la série de campagnes de sensibilisation menées qui ont permis d’enregistrer 100.724 citoyens, le taux de couverture des bureaux de l’état civil est en constante amélioration. Les citoyens disposent d’unlivret de famille qui doit être remis à l’officier de l’état civil en vue d’y porter toute modification intervenant dans l’état civil ou la situation familiale du titulaire du livret ou d’un membre de sa famille.
Le projet de loi 36-21
Sur la base du Programme demodernisation de l’état civil, l’exécutif a élaboré le projet de loi 36-21. Ce projet de loi contient plusieurs objectifs stratégiques et pratiques, dont l’élaboration d’une base de données nationale fiable de l’état civil, qui sera mise à la disposition des institutions administratives et sociales pour renforcer leurs capacités et améliorer la qualité de leurs services fournis aux citoyens. Il s’agit également du développement, du rapprochement et de l’amélioration des différents services aux citoyens, la simplification des procédures administratives, la sécurisation et la conservation des données de l’état civil conformément aux normes en vigueur dans le domaine de la digitalisation, précise un communiqué du gouvernement.
Bref, c’estla digitalisation de l’état civil qui est encadrée par ce texte. Le système numérique national comprendra un portail de l’état civil, un registre national avecun identifiant numérique civil et social, octroyéà chaque déclaration de naissance d’un marocain ou d’un étranger résidant au Maroc. Grâce au digital, les citoyens pourront faire une pré-déclaration d’un acte, à travers la plateforme numérique. La signature de l’acte, par l’officier de l’état civil,sera faite également de manière électroniqueet ce dès la rédaction et validation de l’acte au niveau du système informatisé.
Après l’acceptation des prénoms amazighs en 2003, parmi les nouveautés de ce projet de loi sur la réforme de l’état civil figure la levée de l’obligation de choisir un prénom à caractère marocain. Le prénom choisi doit juste ne pas faire l’objet de moqueries et ne pas être suivi d’un chiffre ou d’un nombre. Aussi, les noms et prénomsrédigés en arabedans les actes de l’état civiletles livrets électroniques de famille seronttranscrits en caractère tifinagh(en plus du caractère latin). Oubliés dans la loi 37-99, les jumeaux et les hermaphrodites sont mentionnés dans le projet de loi 36-21. Dans son article 27, le texte prévoit pour chaquejumeau,un acte de naissance qui lui est propre. En cas de naissances multiples, sur chaque acte de naissance, sera mentionnée l’expression “premier jumeau” ou “second jumeau”, etc. Autre cas intégré dans le projet de loi, celui des nouveau-nés hermaphrodites. La déclaration de naissance d’un hermaphrodite est justifiée par un certificat médicaldans lequel le sexe du nourrisson est indiqué. «En cas de changement du sexe de l’hermaphrodite dans l’avenir, l’acte sera modifié sur décision judiciaire du tribunal compétent», précise l’article 28.
Longtemps réclamée par le tissu associatif, la réforme visant à moderniser l’état civil marocain ne doit pas être prise en otage par le calendrier politique. Tout retard dans l’application de la nouvelle législation impactera les autres grands chantiers lancés par le royaume notamment la mise en place du Registre social unique (RSU) et la généralisation de la couverture sociale. Des problèmes subsistent aussi par rapport aux migrants, réfugiés et demandeurs d’asile (cf. vidéo). Malheureusement, les têtes sont actuellement ailleurs. «Les élections, c’est important», nous dit-on. Mais pour qui?
Temps de lecture : 11 minutes
Les dessous de la carteC’était le 29 octobre, et nul ne pouvait passer à côté des applaudissements qu’a reçus Emmanuel Macron au Parlement du Maroc. Outre les mani… |
Rabat-Paris-Alger : le feuilleton qui ne finira jamais ?Trois pays qu’une Histoire indéniable unit : le Maroc, la France et l’Algérie. Ils se font discrets parfois, mais l’heure est aujourd’hui au… |
L’union, la carte de la dernière chance pour la gauche marocaine ?Que reste-t-il donc de la gauche marocaine ? Voilà une question que l’on se pose depuis deux décennies maintenant. Le «parti historique de B… |
La déontologie, cette pièce qui manquait à notre paysage politiqueLa messe a été dite. C’est désormais aux deux Chambres qu’il incombe d’agir. Le 17 janvier, le roi Mohammed VI a appelé à «moraliser la vie … |
Politiques corrompus : avons-nous trop laissé faire ?Il y a quelques jours, nous commémorions la 60ᵉ année de la constitution du premier Parlement élu. Ce même Parlement qui aujourd’hui est sur… |
Élus : le défi de la bonne gouvernanceVendredi 13 octobre 2023, 15h50. Le Roi prononçait son discours devant les deux chambres du Parlement à l’occasion de l’ouverture de la prem… |
Séisme d’Al Haouz : vers une gouvernance à l’image de la reconstruction d’Agadir ?Nous sommes au 20ᵉ jour après la catastrophe qui a endeuillé le pays et laissé derrière elle toute une région sous les décombres. La catastr… |
Afrique-Europe : le rêve d’une liaison fixeLundi 3 mars 1986. Une équipe de la Radiodiffusion Télévision Marocaine (RTM) est envoyée d’urgence à Tanger pour réaliser un reportage à l’… |