Fête du Trône : histoire d’une célébration
Les fêtes nationales font partie des événements cimentant l’identité d’un peuple. Elles renforcent le sentiment national et solidifient la cohésion. Certains événements ont une symbolique dont toute la nation est fière. Ils stimulent la mémoire collective et renforcent l’esprit national des générations successives, comme le jour de l’indépendance, le souvenir d’une épopée célèbre, un événement qui a marqué un tournant dans l’histoire de la nation ou l’anniversaire de l’investiture du Chef de l’État qui se traduit chez nous par l’anniversaire de l’intronisation du Souverain. Cette fête d’origine européenne a été célébrée pour la première fois au XVIe siècle au Royaume-Uni, sous le nom d’Accession Day, avant d’être adoptée par la plupart des autres monarchies du monde. Chez nous, ce sont de jeunes nationalistes qui se la sont appropriée en l’adaptant au contexte d’un Maroc sousprotectorat français. C’était une occasion en or pour propager les idées nationalistes sans inquiéter la Résidence générale.
Fête du souvenir
L’idée de célébrer la fête du Trône a été lancée au début du règne de feu Mohammed V. La réflexion autour de la célébration annuelle de l’anniversaire de l’intronisation du Roi est venue après le sursaut national qu’a déclenché chez le peuple marocain la promulgation du dahir berbère en 1930, qui visait à attenter au symbole de la Nation marocaine et de son unité. Selon l’historiographe du royaume, Abdelhak El Merini, ce sont de jeunes patriotes enthousiastes qui publiaient des articles dans des journaux nationaux tels qu’Al-Atlas, Al-Maghrib, L’Action du peuple et autres, qui ont défendu cette idée. La première célébration officieuse de la fête du Trône a eu lieu le 18 novembre 1933 au parc Jnane Sbil à Fès. Dans la ville de Salé, un groupe de jeunes de Rabat s’est réuni au siège du « Bureau islamique », qui deviendra plus tard l’école Nahda, pour célébrer l’anniversaire de l’intronisation de feu Mohammed V. Idem pour Marrakech où cet anniversaire a été célébré à la Kissariat Al-Samarine. Ces célébrations ont eu lieu six ans après l’accession de Sidi Mohammed Ben Youssef au Trône (18 novembre 1927).
Mais c’est le 18 novembre 1934 que la fête du Trône sera célébrée officiellement avec un caractère institutionnel. El Merini explique que la célébration de la fête du Trône, qui était appelée «fête du souvenir», est devenue officielle en 1934, du fait d’un arrêté viziriel signé par Mohamed El Moqri et vu pour promulgation et misà exécution par le Commissaire résident général Henri Ponsot. On peut lire sur cet arrêté daté du 21 octobre 1934 : «Dans chaque ville de l’Empire, selon la tradition établie par les anciens sultans, lorsqu’ils célébraient une victoire accordée à leurs armes ou quelque autre événement heureux survenu à leur personne ou à l’Empire, une fête sera organisée par l’autorité musulmane locale, comportant les manifestations suivantes : pavoisement général, musique dans les souks, distribution de secours aux pauvres par les soins des sociétés de bienfaisance, congé pour les administrations makhzen», précise le texte.
L’arrêté ajoute que dans la ville où se trouvera le Sultan au jour de cette fête,le pacha, accompagné de quelques conseillers municipaux, fonctionnaires ou notables, présentera les vœux de fête formés par la population de la ville. Enfin, craignant toute action anti-protectorat, l’article 4 de l’arrêté viziriel stipule : «Il ne sera autorisé ni cortège, ni discours». Depuis 1934, le peuple marocain a célébré l’anniversaire de la fête du Trône dans les écoles, les sièges et antennes des partis politiques et des associations, dans les souks et les parcs. Des poèmes à la gloire du Souverain étaient aussi récités.
L’historiographe du Royaume souligne que lors de l’anniversaire d’argent de la fête du Trône le 18 novembre 1952, feu Mohammed V a prononcé un discours grandiose au Palais royal de Rabat, qui a été la forte étincelle qui a précédé la Révolution du Roi et du Peuple le 20 août 1953. Le défunt Souverain a prononcé une phrase qui provoqua un grand trouble au milieu des piliers du protectorat français. «Le protectorat est comme une chemise pour un petit enfant, l’enfant grandit et grandit et grandit, et la chemise est restée telle qu’elle était et est donc devenue inutilisable, car elle est portée par un homme adulte» (c’est-à-dire le Maroc). Cette fête devient ainsi à un moment privilégié de mobilisation contre la puissance coloniale. Après l’exil du monarque et de sa famille, les autorités interdisent la célébration de la fête du Trône.
La fête du Trône après l’indépendance
Lorsque feu Mohammed V est revenu d’exil en 1955, la fête du Trône est devenue l’une des trois glorieuses : à savoir la fête du retour (le 16 novembre), la fête de la renaissance (17 novembre) et la fête de l’indépendance et du Trône (18 novembre). Pour Abdelhak El Mrini, depuis 1956, la fête du Trône est devenue un moment d’espérance et d’expression de la symbiose entre le peuple et la monarchie. C’est aussi un moment de communion nationale où le Souverain accorde sa grâce à des personnes en détention et d’autres en liberté, condamnées par différents tribunaux du Royaume.
Sous feu Hassan II, la fête du Trône sera célébrée le 3 mars, date de son intronisation en 1961 après la disparition de son défunt père. Cette fête sera réinventée avec un certain nombre de rituels palatiaux et c’est à l’occasion du 1eranniversaire de l’accession au Trône de feu Hassan II, le 3 mars 1962, que la télévision marocaine sera lancée en diffusant le discours du trône. Le programme des festivités comprenait des spectacles artistiques, des concours dans différentes disciplines et des inaugurations de projets dans différentes régions du Maroc.
La célébration de la fête du Trône sous le règne de feu Hassan II a pris une nouvelle forme pour affirmer la centralité de l’institution monarchique. En sa qualité de Chef de l’État, le Souverain prononce un discours traçant les grandes orientations du pays. Une grande réception est organisée au Palais. Le Souverain est salué par les hauts responsables de l’État, par les diplomates étrangers et par les religieux. Souvent, des Chefs d’État étrangers sont invités à cette réception. À cette occasion, le Roi remet des décorations de différents ordres à des artistes, des intellectuels, des politiciens ou des sportifs, en reconnaissance de leurs talents et compétences ou de services rendus à la nation. Le lendemain, en tant que Chef suprême et Chef d’État-Major général des Forces armées royales (FAR), il préside la cérémonie de prestation de serment des officiers lauréats des grandes écoles militaires et paramilitaires.
Enfin, le Roi, Amir Al-Mouminine, préside la cérémonie d’allégeance. Sous le règne de feu Hassan II, la fête du Trône vivra son faste. Toutes les villes sont pavoisées de drapeaux et de lumières rouges et vertes, et des spectacles sont organisés dans les principales places. Depuis 1992, la traditionnelle retraite aux flambeaux de la Garde royale avec ses cuivres et ses tambours, a été enrichie par un spectacle de maniement d’armes dans la ville qui abrite la célébration des festivités officielles.
Dans les années 2000, un show aérien des Forces royales air (FRA) est aussi organiséà l’occasion de la fête du Trône, toujours dans la ville où se trouve le Souverain. C’est le 30 juillet 2000 que le 1er anniversaire d’intronisation du roi Mohammed VI a été célébré. Il avait succédé à son père décédé un an auparavant.
Polémique autour de la cérémonie d’allégeance
La Bey’a (allégeance) est une cérémonie traditionnelle qui regroupe les élus, les notables et les représentants de l’État dans les régions, qui viennent vêtus d’un blanc immaculé. Suivant une gestuelle harmonieuse, ils renouvellent leur allégeance au Souverain. Autrefois, elle était organisée une seule fois au début du règne avant d’être annualisée en 1962 par feu Hassan II. Ce cérémonial codifié par le sultan Ahmed Al Mansour Addahbi (1578-1603) est aujourd’hui mal perçu. Ces dernières années, des voix se sont élevées pour abroger ce rituel qu’elles jugent anachronique et dégradant.
Ce rituel de 10 minutes organisé le lendemain de la fête du Trône à la place du Méchouar est ponctué par des génuflexions des dignitaires devant le Roi monté sur un étalon rétif noir en clamant des « Allah Ibarek F’âmar Sidi »(Que Dieu bénisse la vie de notre seigneur). La cérémonie prend fin sous une salve de cinq coups de canon tirés en signe de joie et d’allégresse. Aux yeux du ministre des Habous et des Affaires islamiques, «le renouvellement d’allégeance et la fête du Trône renvoient à la même cérémonie et les deux événements ne peuvent être conçus l’un sans l’autre», assure Ahmed Toufiq. Autrement dit, le premier constitue la forme ancestrale de cet engagement contractuel entre le Roi et le Peuple, tandis que le deuxième en est sa forme moderne. Mais les deux portent le même sens et la même symbolique. Le 30 juillet donc, c’est la forme moderne de la fête du Trône et le 31, c’est la Bey’a. En tant qu’anthropologue, Ahmed Toufiq ajoute que «l’État qui a été instauré par le prophète est basé sur l’acte d’allégeance qui s’est déroulé sous l’arbre».
18 novembre, 3 mars puis 30 juillet. La fête du Trône a changé trois fois de date pour célébrer les débuts derègne. Sous Mohammed VI, comme sous son père et son grand-père, le protocole royal relatif à la célébration de la fête du Trône a été sauvegardé voire renforcé. S’il a modernisé quelques usages, le roi Mohammed VI a surtout revu à la baisse les dépenses des festivités. Depuis l’an 2000, pas de cérémonies organisées aux niveaux préfectoral ou provincial. Ceci étant, les Marocains de tout lepays et à traversle monde, à leur niveau, demeurent fiers de leur histoire, de leur culture et de leurs réalisations mais aussi résolument tournés vers l’avenir et aspirant à plus de démocratie et de prospérité.