LeBrief : Comment avez-vous vécu l’annonce de ce grand chantier lancé par le royaume ?
Abdelmajid Belaiche : C’est un moment historique, car il permettra au pays de rentrer de plain-pied dans le domaine de la biotechnologie et notamment celui de la fabrication des vaccins. Aujourd’hui, et au vu de la situation mondiale, cela est devenu un besoin impérieux et fondamental. Cela permettra aussi au Maroc de se positionner comme un hub pour l’Afrique, qui est victime d’une injustice mondiale et qui a énormément besoin de vaccins anti-Covid.
LeBrief : Quelles sont les étapes par lesquelles passera cette fabrication de vaccins ?
Abdelmajid Belaiche : Quand on dit fabriquer un vaccin, on ne parle pas de fabriquer les principes actifs ou les constituants fondamentaux, mais plutôt l’utilisation du processus “Fill and Finish” qui concerne le remplissage des flacons et le conditionnement des vaccins. Cela semble être simple, mais non, c’est une technologie qui est extrêmement pointue pour garantir la qualité, l’efficacité et la sécurité. C’est une première étape dans la biotechnologie en attendant d’arriver à d’autres étapes de fabrication. Je pense que l’industrie pharmaceutique au Maroc a pris aujourd’hui un virage très important dans le sens que l’on passe d’une industrie chimique à une industrie de biotechnologie à forte valeur ajoutée qui permettra, à moyen et long terme, de produire plusieurs vaccins et pas seulement ceux contre la Covid-19. On ne peut donc être que satisfait de cette démarche.
LeBrief : Dispose-t-on aujourd’hui de tous les moyens industriels et technologiques pour mener à bien ce chantier ? Combien de temps doit-on attendre pour voir les premiers résultats ?
Abdelmajid Belaiche : Nous disposons de trois choses importantes : des ressources humaines et les compétences nécessaires dans le secteur, des unités industrielles qui permettent de faire du “Fill and finish” et une grande volonté d’investir dans ce projet. Nous avons donc tous les ingrédients pour réussir ce chantier. Ceci dit, il ne faut pas s’attendre à ce que cela se concrétise du jour au lendemain. Les premiers vaccins made in Morocco verront le jour d’ici une année au minimum. Même si le pays dispose d’usines, il y a tellement de choses à valider et de tests à faire qu’il est juste impossible d’arriver à des résultats rapides.
LeBrief : Comment expliquez-vous que depuis le début des campagnes de vaccination dans le monde en décembre 2020, l’Afrique représente moins de 2% des doses administrées ?
Abdelmajid Belaiche : C’est une grande injustice. Plusieurs nations oublient que l’action de se débarrasser de la pandémie doit se faire au niveau mondial. Les pays qui croient qu’ils sont protégés parce qu’ils vaccinent leur population uniquement se trompent sur toute la ligne. Le virus va circuler dans les pays non vaccinés, il va y avoir création de mutations et apparition de nouveaux variants qui pourront avec malchance être résistants aux vaccins existants actuellement. Dans ce cas de figure, les pays non vaccinés seront des sources et des réservoirs de virus et de nouveaux variants.
D’un autre côté, on est malheureusement en train de vivre une politisation de la vaccination. Quand on entend que Sinopharm n’est pas accepté en Europe, j’appelle cela de la politisation parce que ça n’a rien à voir avec la réalité scientifique et rien à voir avec la qualité du vaccin ou son efficacité. C’est tout simplement des enjeux politiques, économiques qui entrent en jeu. Même pour le vaccin AstraZeneca qui est d’origine européenne, on a commencé à polémiquer dessus en disant que les personnes vaccinées par le vaccin AstraZeneca fabriqué en Inde ne sont pas acceptées, c’est du grand « n’importe quoi ».
LeBrief : En termes de transfert des technologies et savoir-faire, quel impact pourrait avoir la Chine dans cette innovation ?
Abdelmajid Belaiche : La Chine est une puissance mondiale dans tous les domaines, et la médecine n’y a pas échappé. Figurez-vous que dans les années 70, la Chine n’avait pas assez de médecins et formait les herboristes pour subvenir aux besoins de sa population. Regardez oùen est la Chine aujourd’hui. Le Maroc a beaucoup à apprendre du savoir-faire chinois. Malheureusement, nous sommes longtemps restés focalisés sur les pays de l’occident. Certes, l’occident dispose de plusieurs technologies intéressantes, mais ces derniers n’ont souvent pas envie de la partager avec d’autres pays. Ils sont dans l’hyper conservatisme.
LeBrief : Quelles sont les usines qui seront mobilisées pour ce chantier ?
Abdelmajid Belaiche : Il n’y a pas d’informations claires à ce sujet. Ce que je peux vous dire c’est que des synergies vont être créées entre différents partenaires pour faire de ce rêve une réalité. C’est un rêve auquel j’ai toujours cru, malgré tous les freins qui ont fait que le Maroc a pris du retard en matière de biotechnologie. Je pense notamment aux lobbys qui ont combattu dans les années 90 les médicaments génériques, et qui ont commencé à s’attaquer aux produits de biotechnologie que l’on appelle les biosimilaires. Aujourd’hui, une page se tourne et une nouvelle page commence. C’est de bon augure pour la suite et l’avenir de l’industrie pharmaceutique au Maroc.
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