Les Marocains peuvent s’enorgueillir de l’efficacité de leurs services sécuritaires. Le professionnalisme des différents corps chargés d’assurer la sécurité des personnes et des biens est réputé au-delà des frontières marocaines. Un grand travail a été fait ces dernières années au sein de la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN) pour garantir plus d’efficacité et de performance et faire de la police marocaine une police citoyenne. Ceci étant, des dépassements continuent d’être commis au quotidien par des agents peu soucieux du respect des lois et de l’image de l’institution à laquelle ils appartiennent.

L’article 21 de la Constitution marocaine stipuleque les pouvoirs publics «assurent la sécurité des populations et du territoire national dans le respect des libertés et droits fondamentaux garantis à tous». Ce point est primordial. On ne peut dissocier l’aspect sécurité du respect des libertés et des droits. Au plus haut sommet de l’État, on a voulu, dès 1999, marquer la nouvelle ère avec l’instauration d’un nouveau concept de l’autorité. Au niveau de la police, ce nouveau concept de l’autorité sonne l’heure de la réconciliation avec les citoyens. Des mécanismes sont créés pour faciliter le contact entre les deux parties. On délimite aussi les champs des devoirs et des droits de chacun et une grande transformation au sein des rouages de l’État est opérée. Au fil des ans et des événements, l’image de la police a agréablement évolué.

Un policier assistant une vieille dame en chemin vers le centre de vaccination anti-Covid-19 © DR

À titre d’exemple, les attentats du 16 mai 2003 à Casablanca ont révélé une coopération exemplaire entre les citoyens et la police. En décembre 2016, de hauts responsables de la police marocaine ont été démis de leurs fonctions ou traduits en conseil de discipline après de « graves dysfonctionnements »et des « manquements professionnels ». Et enfin en janvier 2017, la mise en place d’un insigne métallique sur le torse indiquant l’identité et le matricule de chaque policier rétablira encore plus la confiance.

Les maux d’autrefois…

En 1986, en une journée caniculaire en plein mois d’août, une jeune maman laisse son bébé endormi dans son berceau et descend à la pharmacie chercher une boîte de lait infantile. L’officine se trouve de l’autre côté du boulevard, interdit ce jour-là à la circulation, à cause du passage programmé du cortège royal. La jeune femme traverse à pied le boulevard et achète sa boîte de lait mais au retour, on lui interdit de traverser à nouveau le boulevard, prétextant le passage imminent du cortège du Roi. Les minutes passent et la maman prie les agents de police de la laisser traverser parce que son bébé est tout seul à la maison et il risque de se réveiller à tout moment. Les agents de la paix répondent avec fermeté: «les ordres sont les ordres, personne ne traverse!». A l’époque, il n’y avait pas de téléphone portable et la maman angoissée ne pouvait rien faire. Malgré ses supplices, ses larmes et son évanouissement au bout de deux heures d’attente, les policiers campèrent sur leur position. Ce n’est qu’au bout de trois heures que les gens seront autorisés à traverser le boulevard, le cortège royal ne passera finalement pas par cette avenue. La pauvre maman s’empresse de rentrer chez elle, elle trouve son fils dans un état de détresse. Déshydraté, le nourrisson sera admis aux urgences et hospitalisé 48 heures. Après ce cauchemar, la maman quitte le Maroc, elle n’y remettra plus jamais les pieds. Cette histoire nous renseigne sur l’importance de matérialiser la notion de l’État de droit dans le travail de la police au quotidien.

… et les tares d’aujourd’hui

Fort heureusement, les choses ont positivement évolué. Cependant, des policiers sans scrupule continuent de faire réagir la toile et leurs comportements sont dénoncés par les médias. Aujourd’hui encore, des cadres compétents que le Maroc a formés et dont il a grandement besoin pour son développement, quittent le pays, non pas pour un meilleur revenu mais juste parce qu’ils aspirent à une qualité de vie meilleure pour leurs enfants dans des pays respectueux du droit de leurs citoyens.

Un jeune ingénieur trentenaire raconte comment il a quitté le royaume à la première occasion qui s’est offerte à lui sans se retourner, emmenant son épouse enceinte de huit mois au Canada juste pour vivre dignement. Ce dernier a vécu l’enfer durant cette pandémie de Covid-19, étant obligé à chaque fois pendant l’état d’urgence sanitaire, de proposer des pot-de-vin à chaque barrage, faute d’obtenir une autorisation exceptionnelle de déplacement signée par le pacha de Casablancapour aller chaque week-end voir sa femme installée à Marrakech.

Un autre citoyen, Abdou, père de famille, s’indigne pour sa part du comportement d’un policier relevant de la brigade des motards. Ce dernier sillonne l’avenue Moulay Rachid à Casablanca et harcèle les citoyens. L’homme raconte qu’il était dans sa voiture avec sa femme et ses enfants, sortis prendre leur petit-déjeuner dans un café, en position d’arrêt avec le clignotant droit actionné et attendant qu’un conducteur démarre sa voiture pour libérer la place de stationnement. Soudain, «surgit un policier sur une grosse cylindrée et me pose d’une manière impolie la question: qu’est-ce que tu fais ici? La réponse étant évidente, je rétorque: ça se voit bien, je veux stationner!», raconte Abdou. S’en suit un échange hallucinant: le policier écrase avec un langage haineux la fierté du citoyen, père de famille, devant ses enfants en lui disant qu’il faut parler poliment et que de toute façon il est en deuxième position et n’a pas le droit d’attendre l’automobiliste qui est à la manœuvre pour libérer la place, qu’il peut lui demander ces papiers et lui coller une contravention. Effrayés, les enfants supplient leur papa de ne pas surenchérir. Le citoyen humilié se tait mais n’arrive pas à avaler la couleuvre. Le même policier fera plusieurs rondes sur l’avenue pour « verbaliser »des conducteurs « contrevenants »et surtout les propriétaires de voitures neuves (immatriculées WW). Est-ce une haine sociale qui se manifeste? Pour notre ami Abdou, il ne s’agitque d’un citoyen de classe moyenne, un cadre intermédiaire dans le privé et qui a acheté sa nouvelle voiture à crédit. Sous le regard des gardiens de voitures et des agents de la société chargée du stationnement, l’agent « ripoux »accostera une dizaine de voitures en l’espace d’une heure.

Pourtant, le statut particulier du personnel de la sûreté nationale a été modifié en 2019. Les agents de la DGSN sont payés correctement en plus d’indemnités et de promotions. Au-delà de l’aspect corruption qu’il faut bien entendu prouver, on relèvera ici plusieurs manquements de la part du policier. Tout d’abord, tout agent relevant de la sûreté nationale doit adresser un salut à tout requérant sur la voie publique ou au conducteur d’un véhicule lors d’un contrôle routier. Le salut réglementaire marque ainsi l’autorité et rappelle que la première fonction d’un agent qui représente l’autorité publique est d’être au service des citoyens pour faire respecter la liberté et les droits de tous. Le salut réglementaire est aussi un symbole d’apaisement qui favorise les bonnes relations. L’agent demande par la suite respectueusement les différents documents obligatoires et informede l’objet de son contrôle ou de l’infraction commise. Ce que ce policier n’a pas fait dans ce cas. Et depuis quand l’arrêt avant un stationnement est interdit? Le conducteur doit-il faire le tour au risque de perdre la place qui se libère ? Aussi, traditionnellement, les agents de la circulation respectent les personnes âgées et les conducteurs qui ont des enfants avec eux et leur parlent avec beaucoup de bienveillance.

Cette histoire vraie nous rappelle celle de deux policiers de cette même brigade des motards arrêtés à Casablanca dans une affaire de chantage. Dans un communiqué publié au mois de mars dernier, la DGSN avait indiqué que le service administratif relevant du district de Sûreté de Hay Hassani à Casablanca avait reçu une plainte d’une citoyenne, accusant de chantage deux policiers de la brigade des motards pour avoir refusé d’accomplir l’une de leurs missions en présence de plusieurs témoins. Quant à Abdou, rassurez-vous, il ne compte pas quitter le Maroc. Quelques jours après sa mésaventure, il sera agréablement surpris par l’attitude d’un policier devant l’école de ses enfants. En se garant, Abdou allait percuter une barrière posée en diagonal. Fort heureusement, le sympathique policier le prévient juste à temps et lui dit avec un large sourire: «mon frère, la voiture est encore toute neuve, il ne faut surtout pas la cabosser!». Comme quoi, tout le monde n’est pas pareil et des personnes exécrables parmi les policiers ne doivent pas être perçues comme étant une majorité. Gare à la généralisation!

ziad

Donner l’exemple

Lundi 7 juin 2021, un communiqué de la DGSN suscite la curiosité des journalistes. «Le service préfectoral de la police judiciaire de Rabat a ouvert lundi une enquête judiciaire sous la supervision du parquet compétent à l’encontre d’un commissaire principal de police, exerçant dans un district de sûreté à Rabat, suite à des soupçons de corruption», indique l’institution. Jusque-là, rien de plus normal. Mais la suite du communiqué est très intéressante. On y précise qu’une victime avait déposé plainte accusant le fonctionnaire de police de lui avoir exigé une somme d’argent pour accélérer le traitement de sa demande. Suite à cela, le parquet général à la Cour d’appel de Rabat a ordonné l’ouverture d’une enquête judiciaire. L’enquête a finalement permis d’appréhender le policier suspect en flagrant délit de réception et possession d’une somme d’argent en guise de corruption. Le mis en en cause a été placé en garde à vue pour les besoins de l’enquête menée sous la supervision du parquet compétent en vue d’élucider les tenants et aboutissants de cette affaire. La DGSN a également procédé à la suspension de ce commissaire en prévision de l’application des dispositions du statut particulier du personnel de la Sûreté nationale, à la lumière des résultats de l’enquête judiciaire, conclut le communiqué.La DGSN annonce fréquemment des décisions disciplinaires à l’encontre de fonctionnaires de police, de divers grades, pour leur implication dans des actes de fraude. Au mois d’avril dernier, 38 fonctionnaires ont sanctionnés pour tricheaux concours organisés par la Direction et un brigadier a été suspendu pour escroquerie à Tétouan. Au mois de mai 2021, la DGSN aégalement infligé des sanctions disciplinaires à l’encontre de deux de ses agents à la préfecturede police de Casablanca pour faute professionnelle et manquement à leur mission à la suite d’un postde la secrétaire générale du Parti socialiste unifié (PSU), Nabila Mounib. S’étant rendue à la préfecture de police pour déposer une plainte dans une affaire de cybercriminalité, Mounib n’a pas été bien orienté et on lui a demandé de revenir un autre jour alors que le service concerné assure une permanence 24h/24. Suite au post de Nabila Mounib sur les réseaux sociaux, la préfecture de police de Casablanca a ouvertune enquête administrative qui déterminer les manquements professionnels de deux agents.

Rôle de la police des polices

Haine et corruption, deux fléaux intolérables et qui peuvent gangréner au sein la sûreté nationale s’ils ne sont pas rapidement traités. Ces «brebis galeuses» sont dangereuses pour toute la structure policière. Pour éviter le dialogue de sourds entre citoyens et policiers, la défiance à l’égard de la police ou encore un mépris de ce corps fondamental, il faut que la police des polices soit plus agissante.

Ce travail est effectué par l’inspection générale de la DGSN. En 2020, les comités d’inspection ont mené 487 investigations administratives. Ces investigations ont concerné 1.755 fonctionnaires de police. Les services de l’Inspection générale ont également mené 18 opérations de contrôle et d’audit, réparties entre 11 opérations de contrôle, 7 opérations de contrôle impromptues et discrètes, et qui ont concerné les divers établissements de sûreté et les directions régionales, et ayant visé principalement l’évaluation du comportement des policiers avec les citoyens sur la voie publique et dans les établissements de sûreté. 7 opérations de contrôle du comportement des policiers avec les citoyens sur la voie publique sur 12 mois et sur l’ensemble du territoire national, c’est insignifiant.

Nous avons ainsi prôné un nouveau concept de l’autorité pour en faire l’instrument qui veille sur le service public, gère les affaires locales, préserve la sécurité et la stabilité, protège les libertés individuelles et collectives, est ouvert sur les citoyens et en contact permanent avec eux pour traiter leurs problèmes sur le terrain en les y associant

Le roi Mohammed VI dans le discours du Trône du 30 juillet 2000

Concernant la procédure d’investigation sur les dénonciations des éléments de police, l’inspection générale a traité, toujours en 2020, 652 dossiers, dont 565 classées sans suite pour manque de preuves, et 87 autres dossiers ayant abouti à des sanctions disciplinaires ou demandes d’ouverture d’enquêtes judiciaires à l’encontre des fonctionnaires ayant violé la loi, ou d’investigations complémentaires pour faire éclater la vérité et déterminer les abus reprochés.

«Nous avons ainsi prôné un nouveau concept de l’autorité pour en faire l’instrument qui veille sur le service public, gère les affaires locales, préserve la sécurité et la stabilité, protège les libertés individuelles et collectives, est ouvert sur les citoyens et en contact permanent avec eux pour traiter leurs problèmes sur le terrain en les y associant», réaffirmait le Souverain le 30 juillet 2000 dans le discours du Trône. La police marocaine présente certes un nouveau visage honorable grâce aux efforts d’ouverture et de proximité et le recrutement d’agents de nouvelle génération afin de concrétiser le concept de la police citoyenne. Certes, il y a des personnes malhonnêtes dans tous les secteurs d’activité. Mais quand ce sont des agents d’autorité, leurs actes ont plus d’impact et toute dérive peut se révéler dangereuse. Pour faciliter le vivre ensemble, cette police citoyenne doit en finir avec certaines pratiques hors-la-loi. Elle doit aussi réinculquer des règles aujourd’hui oubliées. Au passage d’un cortège funèbre, le policier n’est-il plus obligé de présenter le salut? À voir.

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