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LeBrief : Vous êtesla première femme marocaine et africaine dans le classement des 50 meilleurs scientifiques au monde en 2021, qu’est-ce que cela représente pour vous??
C’est le résultat ou le couronnement de plusieurs années de persévérance, d’efforts et de travail.Je savais que j’avais un bon classement mais pas au point d’être parmi les 50 meilleurs scientifiques du monde. Mais attention, le mérite en revient également à tous mes collaborateurs marocains et étrangers et surtout à nos doctorants. Nous avons toujours été soutenus par notre ministère de tutelle et le CNRST (Centre national pour larecherche scientifique et technique, NDLR)surtout pour nos collaborations internationales.Je pense que c’est également une distinction pour eux.
LeBrief : Parlez-nous un peu de votre adolescence, comment cette passion pour la science est née en vous??
Mes capacités en mathématiques se sont révélées dès le collège et j’ai découvert la physique au lycée. Il faut préciser que cette matière n’était enseignée à cette époque qu’à partir de la seconde, c’est-à-dire après le brevet. Au lycée, j’ai eu la chance d’avoir une exceptionnelle professeure de physique, Mme Azema, qui m’a fait découvrir et aimer cette matière en aiguisant ma curiosité et en me poussant à comprendre les phénomènes qui nous entourent. Je pense que c’est à ce moment-là que j’ai commencé à envisager de faire une carrière scientifique, mais sans toutefois savoir dans quel domaine.J’ai eu par la suite beaucoup de chance, car la plupart des professeurs que j’ai rencontrés au cours de mes études supérieures étaient exceptionnels. C’est pour cela que je clame toujours que le choix d’être enseignant-chercheur doit être fait par amour pour le métier et non seulement pour avoir un travail. Le rôle d’un enseignant et son niveau est décisif pour une carrière ou même pour le pays.
LeBrief : Quels sont les événements scientifiques qui ont marqué votre jeunesse ?
Deux événements ont aiguisé ma curiosité et ouvert mon horizon. Les premiers pas de Neil Armstrongsur la lune en 1969 ont été pour moi inoubliables.Tous nos voisins – qui n’avaient pas de télévision à l’époque – se sont réunis chez nous.Je fus assez frappée par les commentaires des gens, allant de raisonnements logiques à des suppositions à peine croyables.Dans tous les cas, cet instant est resté inoubliable sans toutefois savoir si c’est cela qui m’a orientée dans ma carrière, car je n’imaginais pas faire des études aussi longues. Le second événement est que lors d’un de mes anniversaires, j’ai reçu un livre sur la vie de Marie Curie qui m’a fasciné, le parcours atypique d’une femme extraordinaire, et qui m’a montré qu’une femme pouvait devenir une grande scientifique et faire d’importantes découvertes. Cela marqua le début de mon intérêt pour tout ce qui se trouve dans notre univers.
LeBrief : Concernant les ressources financières, quelles sont les difficultés auxquelles se confrontent globalement les chercheurs marocains ?
La gestion du budget de la recherche. Souvent le manque de moyens est pris comme argument pour expliquer cela alors que la réalité est toutautre. En effet, ce n’est pas un manque de moyens qui nous fait défaut – car nous pouvons en avoir par le milieu socio-économique ou par des organismes internationaux sur la base de projets solides – mais plutôt un manque d’autonomie en matière de gestion financière ; domaine dans lequel le ministère des Finances continue d’exercer un pouvoir quasi absolu. C’est d’ailleurs cette centralisation du pouvoir qui entrave la mise en œuvre de nombreux éléments de réforme. Les contrôles sont systématiques dès lors qu’on obtient un financement et cela ralenti fortement le bon déroulement des projets de Recherche. Une des raisons d’être des Universités est de s’ouvrir aux mondes socioéconomiques afin de diversifier ses ressources. Or, ces contrôles font perdre un temps précieux et par conséquence ne permettent pas aux scientifiques d’honorer à temps leurs engagements. Cela freine automatiquement toute initiative d’innovation.
LeBrief : D’autres difficultés ?
Oui, la lenteur des procédures administratives qui sont souvent sources de démotivation et d’abandon de projets des scientifiques. Il y a aussi l’évolution de la carrière du scientifique qui s’appuie en grande partie sur l’ancienneté et non sur la productivité scientifique. Certaines universités ont mis en place un système de prime lié à la productivité pour essayer de contrecarrer cette faille.
Malgré l’existence d’îlots d’excellence internationalement reconnus, le secteur est resté jusqu’à récemment fragmenté, non-orientéet peu financé (la part de la recherche dans le PIB tourne autour de 0,8%). Aujourd’hui, la restructuration, les appels d’offres et une coopération internationale mieux gérés ont créé les conditions favorables, mais pas idoines pour dépasser cette fragilité et relancer la recherche. Il devient ainsi important de soutenir nos chercheurs qui se distinguent avec des actions d’envergure.
LeBrief : Quelles sont vos revendications à ce sujet ?
Je pense qu’il est nécessaire de créer une loi qui donne à l’université marocaine publique un statut national, en tant que structure publique à caractère scientifique culturel et professionnel, distincte des structures publiques économiques, ainsi qu’un statut du chercheur qui permettra aux grands producteurs scientifiques de s’engager pleinement dans la recherche. Ce statut résoudra sans doute plusieursproblèmes.
LeBrief : Y a-t-il des points qu’il faudra améliorer afin que plusieurs compétences féminines marocaines émergent dans ce domaine ? Si oui, comment les améliorer ?
Je voudrais tout d’abord avancer une hypothèse qui est une évidence : la plupart des pays, quels que soient leurs niveaux de revenus, doivent miser désormais sur la recherche et l’innovation pour stimuler leur croissance économique. Mais aucun pays ne peut se permettre de négliger les contributions intellectuelles de la moitié de sa population, ses femmes.
De nombreuses enquêtes ont montré que l’image de la science était essentiellement masculine. C’est un préjugé tenace et qu’il faut bannir. Chaque pays devrait attentivement identifier les micro-mécanismes qui contribuent à reproduire ce schéma ancien. Par exemple, une des premières recommandations est d’encourager l’accès des filles aux études scientifiques, aux options dites masculines et aux filières techniques, et veiller à présenter les femmes chercheures et ingénieures dans les programmes scolaires, en faire «des femmes exemples». Et également institutionnaliser l’approche genre à travers le système éducatif dans le cadre de la politique éducative à tous les niveaux.
Des prix et/ou des bourses doivent être instaurés pour encourager les femmes qui excellent dans le domaine scientifique, la reconnaissance de leur entourage familial et socio-professionnel doit couler de source.
Il est également recommandé d’inspirer les jeunes filles en les mettant davantage en présence avec des femmes qui leur servent de modèles ou de « mentors ». Il est donc formidable de voir des femmes accéder à des postes de responsabilité en science. Des modèles féminins forts ne sont pas seulement importants pour les jeunes filles ambitieuses : ils sont également importants pour les jeunes garçons si nous voulons briser le schéma de préjugés enracinés. C’est important pour tout le monde de voir les femmes réussir dans la science et ailleurs.
LeBrief : Vous êtes aujourd’hui une source d’inspiration pour plusieurs étudiants amateurs et passionnés par la physique et larecherchescientifique? Quel message voudriez-vous leur transmettre?
Pour ma part, j’ai mené ma recherche avec plaisir pendant des années dans l’ombre. Et un jour la reconnaissance est venue : la récompense du Prix l’Oréal-Unesco en 2015, la nomination comme membre de l’académie Hassan II des Sciences et Techniques, de l’Académie africaine des sciences et de l’Académie internationale et le prix de l’organisation de la coopération islamique en 2017.
Quelle fut ma surprise lorsque lors du «First Global Challenge» à Washington le 19 juillet 2017, la médaille d’argent portait le nom de «Prix Rajaâ Cherkaoui el Moursli pour l’Accomplissement Courageux» et avait été attribuée aux équipes de robotiques gagnantes. Et c’est là où le mot courage a raisonné dans ma tête. En effet, pour réussir en sciences, il ne faut pas avoir peur de prendre des risques. Les découvertes en laboratoire nécessitent de l’audace et de l’innovation. Faire carrière dans la recherche tout en élevant des enfants n’est pas facile mais si vous voulez mener les deux de front, il faut s’accrocher et ne laisser aucun obstacle s’interposer entre vous et vos rêves. Si vous considérez que vos données scientifiques sont irréprochables, rien ne sert de vouloir tout faire à la perfection. Souvent, vous vous barrez la route vous-mêmes, comme lors d’un appel à poste de décision, où vous ne déposerez votre candidature qu’après une auto-évaluation minutieuse de vos performances, ignorant que vos collègues hommes ne seront pas aussi frileux.
Je voudrais préciser que jusqu’à il y a une dizaine d’années au Maroc, très peu de moyens étaient alloués à la recherche et malgré celabeaucoup de chercheurs, dont des femmes, ont pu se distinguer. Il ne faut surtout pas suivre l’exemple du proverbe français qui dit : «l’ennemie de la femme est la femme». Actuellement, il y a une nette évolution au Maroc (des bourses, plusieurs appels à projets, une coopération internationale plus importante). Donc n’hésitez pas à en tirer profit et chaque fois que le chemin devient pénible, pensez à vos mentors et ne vous sous-estimez jamais, et soutenez-vous mutuellement.
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