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Les historiens rapportent que les leçons de hadith (actes et paroles du prophète) ont connu leur phase de rayonnement sous la dynastie alaouite comme jamais auparavant. Elles ont reçu une attention particulière sous le règne du sultan Moulay Ismaïl (1672-1727). Ce dernier vénérait les clercs qui donnaient des leçons avec des conseils scientifiques pendant le mois de Ramadan, et dans lesquelles des questions de religion, de science des hadiths, de jurisprudence, de sciences de l’interprétation et d’autres sciences religieuses étaient discutées.
Cette coutume a été transmise par les sultans alaouites jusqu’au règne de Hassan 1er (1873-1894) qui en a fait une véritable institution. Cette grand-messe annuelle religieuse se tenait en sa présence dans l’enceinte du Palais royal. Abandonnée pendant la période du protectorat, elle sera ressuscitée par feu Hassan II deux ans après son intronisation.
Les leçons de hadith baptisées « causeries hassaniennes »
C’est en 1963 que la tradition des leçons du mois béni de Ramadan reprend ses droits. Feu Hassan II assiste personnellement à ces leçons rebaptisées « causeries hassaniennes »et en trace les contours. «À l’époque de nos aïeux, les leçons ramadaniennes étaient consacrées avant tout au hadith. Le savant prenait comme base de sa leçon un hadith. Cette méthode est meilleure pour l’apprentissage et pour élargir la culture générale. On définit le récit et on donne un aperçu sur les compagnons du prophète qui ont rapporté le hadith mais aussi les personnalités et leurs successeurs. Après cela, l’érudit aborde l’époque de cette parole prophétique et s’il est conforme à un verset en particulier. Le cas échéant, il précise les raisons de la révélation du verset ou bien il décrit le hadith (…) on sera alors dans les leçons plus larges facilitant la mission culturelle de messieurs les oulémas», a précisé le défunt roi. Au début, ces causeries se tenaient dans une petite salle du Mausolée du sultan Hassan 1er à l’entrée du Palais royal de Rabat. Y prenaient part les oulémas marocains, les conseillers du Souverain, les membres du gouvernement, les hauts fonctionnaires de l’État, les officiers supérieurs des Forces armées royales,les diplomates des pays islamiques accrédités au Maroc et quelques personnalités invitées par le Souverain. Selon la tradition, tous les présents, savants et hommes d’État, étaient assis par terre sur un grand tapis. Le Roi ne dérogeait pas à cette règle. Plus tard, avec l’élargissement du cercle des panélistes aux érudits étrangers et le nombre croissants d’invités du Royaume, les causeries hassaniennes seront transférées dans une salle plus accueillante à l’intérieur du Palais. Retransmises en direct sur les ondes de la radio et à la télévision généralement en fin d’après-midi avant la rupture du jeûne, les causeries hassaniennes suscitent la curiosité du public, qui pendant près d’une heure suit attentivement les explications du conférencier.
Une tribune unique en son genre
Intellectuels, théologiens et savants se succèdent en tant que conférenciers aux causeries hassaniennes. Mais la causerie inaugurale est toujours animée par le ministre des Habous et des Affaires islamiques. Dans les années 1960-1970, Allal El Fassi, Ahmed Bargach et Mohamed Mekki Naciri ont dû se prêter à l’exercice. D’éminents oulémas d’Orient et d’Afrique, de différents courants de pensée, sont aussi passés par les causeries hassaniennes. On citera notamment l’Égyptien Cheikh Mohammed Metwali Al-Shaarawi, le Syrien Cheikh Muhammad Saeed Ramadan Al-Bouti, le Soudanais Docteur Issam Al-Bashir, le Tunisien Cheikh Fadhel Ben Achour ou encore le célébrissime Cheikh Youssef Al-Qaradawi.
Aussi curieux que cela puisse paraître, des imams chiites célèbres ont aussi animé des causeries religieuses dont le philosophe et leader politique et religieux libanais Moussa Assadr. Le sujet de la causerie, ayant généralement trait à l’actualité, était librement choisi par le conférencier mais tout écart ou discours hors sujet était recadré par le défunt souverain qui maîtrisait la science du hadith et n’hésitait pas à demander une explication ou une précision. Feu Hassan II avait lui-même animé deux causeries religieuses devant des oulémas marocains et étrangers. La première a eu lieu en décembre 1966. Il avait alors choisi ce hadith: «Que celui d’entre vous qui voit une chose répréhensible la corrige de sa main! S’il ne le peut de sa main, qu’il la corrige avec sa langue ! S’il ne le peut avec sa langue, que ce soit avec son cœur et c’est là le degré le plus faible de la foi». En août 1978, feu Hassan II animera une deuxième causerie sur la base du verset coranique : «La connaissance de l’heure du jugement relève uniquement du Seigneur qui fait tomber la pluie salvatrice, et qui sait ce qu’il y a dans les matrices. Et nulle âme ne sait ce que réserve l’avenir, et nulle âme ne sait en quel endroit elle devra mourir. Dieu seul est omniscient et parfaitement informé». Avec son interprétation très singulière, sa rhétorique et son éloquence, le roi Hassan II avait impressionné l’audience.
Quelques changements opérés dans les années 1980-1990
Feu Hassan II savourait ces moments d’échange avec les oulémas. Bien que les responsables du protocole demandent aux conférenciers – notamment les Marocains – de respecter un certain nombre d’instructions et de ne pas élever la voix ou faire beaucoup de gestes de la main, le défunt roi était compréhensif et appréciait même cette gestuelle quand elle était en harmonie avec la performance du conférencier.
En maître de cérémonie, feu Hassan II ira plus loin dans la symbolique du respect aux savants. Il décide d’introduire une chaire sur laquelle le conférencier s’assoit. Cette dernière est à un niveau plus élevé que le reste des participants, y compris le roi himself. Une véritable révolution, selon les connaisseurs du protocole royal. Ces années-là, les causeries hassaniennes sont parfois organisées le soir après la prière d’Al-Ichae, dépendamment de l’agenda du Chef de l’État. Les causeries deviennent un rendez-vous incontournable sur les chaînes du monde arabe pendant le mois de Ramadan. Dans les années 1990, la chaîne panarabe MBC décide de diffuser les causeries hassaniennes. Un fait inédit pour une chaîne à capitaux saoudiens dont le pays prône la doctrine wahhabite.
Feu Hassan II étend l’explication et la compréhension des phénomènes de société en invitant d’éminents spécialistes internationaux de la pensée islamique originaires de pays non-musulmans. Chinois, Russes, Européens, Américains, discutent dans la langue du Coran – avec parfois un arabe approximatif et un fort accent – avec leurs confrères du monde arabo-musulman de sujets très variés comme l’équilibre écologique d’un point de vue islamique, de l’Islam et du développement global, des sciences contemporaines et des secrets divins.
Régulièrement, des chefs d’États arabes ou africains assistent aux causeries hassaniennes. En 1993, le président des Maldives, Mamoun Abdul Qayoom anime l’une des causeries religieuses sur « la jurisprudence islamique et sonimportance urgente pour aborder les problèmes contemporains« . Enfin, en 1998, la légende Mohamed Ali Clay répond à l’invitation de feu Hassan II pour assister à l’une des causeries religieuses. À l’issue de la causerie hassanienne, Ali est décoré par le défunt roi qui lui offre un exemplaire du Saint Coran (cf. vidéo).
Des moments mémorables
Ces rendez-vous religieux, reflétant l’image d’un Islam éclairé et modéré, ne manquaient pas également de certaines sautes d’humeur ou touches d’humour. Ceux qui suivaient les causeries hassaniennes dans les années 80 se souviennent qu’avant l’arrivée du roi, la radio et la télévision retransmettaient en direct des versets du Coran récités par l’un des meilleurs psalmodieurs depuis la salle où se tenaient les causeries religieuses. L’un des psalmodieurs marocains a vécu une mésaventure quand il fut surpris pendant son récit des versets par l’entrée subite de feu Hassan II. Sur un ton grave, le défunt roi lui demande de réciter dans sa langue, critiquant le fait que ce psalmodieur imite l’accent des pays du Machrek.
Feu Hassan II était aussi très à cheval sur le respect du temps imparti à la causerie. Il ne manquait pas de demander à un érudit étranger de conclure 15 minutes avant l’heure de la rupture du jeûne ou à l’un des oulémas marocains de rallonger son exposé parce qu’il restait encore du temps. Le grand érudit Mohamed Lazraq, conférencier régulier aux causeries hassaniennes, sera troublé par la requête royale et perdra le fil de ses idées justifiant ça par l’immense charisme du Souverain, provoquant les rires de l’assistance et du défunt roi (cf. vidéo).
En 1991, absorbé par la causerie qu’il animait, Abdelkrim Daoudi s’est laissé emporter comme s’il donnait un séminaire à Al Qaraouiyine à Fès en donnant des exemples du quotidien sur la notion « cherchez la connaissance, avant de devenir maîtres« . L’une des explications données par l’éminent théologien est relative au mariage. Selon lui, tout homme marié est maître de son foyer. Il doit donc chercher la connaissance avant le mariage parce qu’aprèsses occupations, notamment avec les enfants, ne lui permettront pas de conquérir le savoir. Feu Hassan II n’a pas manqué de rire en écoutant les propos de l’érudit, les personnalités présentes ne s’en sont pas privées non plus (cf. vidéo).
Grande nouveauté sous le règne du roi Mohammed VI
En accédant au Trône en 1999, le roi Mohammed VI a choisi de garder le nom « causeries hassaniennes » par respect à son défunt père, initiateur de ce cercle de grande érudition. Cette tribune ouverte aux dignitaires religieux de tous bords connaîtra une ouverture sans précédent en 2003. La juriste Rajaa Naji Mekkaoui a été invitée à livrer la quintessence d’une étude comparative sur la conception de la famille entre les sciences sociales modernes et la loi coranique, devenant ainsi la première femme à animer une causerie hassanienne (cf. vidéo).
Dès lors, plusieurs femmes prendront part à ces causeries à l’instar de Aïcha Hajjami, professeur à la Faculté de droit de Marrakech qui avait présenté un exposé sur « l’ijtihad dans la question féminine« . Le roi Mohammed VI a aussi délocalisé les causeries ramadaniennes. Il n’est pas exclu qu’une causerie soit organisée à Casablanca, Tétouan ou Oujda, selon les déplacements du Souverain pendant le mois sacré.
Au fil des ans, les causeries hassaniennes sont devenues une destination privilégiée pour les érudits de différents horizons qui se réunissent dans le seul objectif de consacrer le dialogue quel que soit le degré des différends. Erudits, savants, prédicateurs et intellectuels du Maroc et de l’étranger se retrouvent pour échanger les idées et débattre des questions de la Oumma en vue d’y trouver des solutions dans le cadre d’une approche scientifique. Une approche qui s’inscrit dans la lignée d’une constante des rois du Maroc qui ont toujours honoré les oulémas et les érudits et mis en avant leur rôle dans l’immunisation de la Oumma.
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