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Les problématiques d’abandon d’enfants persistent au Maroc. Dans le Royaume, où les relations extraconjugales et l’avortement sont interdits, 50.000 enfants naissent chaque année hors mariage, dont plus de 8.000 sont abandonnés immédiatement. D’ailleurs, sur près de 9.000 enfants abandonnés chaque année, 80% sont le fruit de relations extraconjugales.
Hors-la-loi. Ainsi sont qualifiées ces femmes qui ont un enfant hors mariage. Rejetées par leur famille, ces dernières sont sujettes à toutes sortes de maltraitance, d’exclusion sociale et de pression psychologique. Cette exclusion sociale, la crainte des autorités, mais aussi la peur des représailles de leur propre famille font que beaucoup de jeunes mères finissent par se débarrasser de leur enfant. Aïcha Ech-Chenna, présidente de l’association marocaine Solidarité féminine, a indiqué au journal espagnol Mujer Hoy(Femme d’aujourd’hui) que «24 bébés sont jetés à la poubelle par jour» (8.760 par année). De plus, selon le portail Bébés du Maroc, les nouveaux cas d’abandons ont évolué sensiblement dans certaines zones, particulièrement urbaines. Un nombre important d’abandons’opère à travers des intermédiaires informels. Ces propos mettent en lumière les difficultés rencontrées par les mères célibataires.
La kafala, une solution
Afin d’y remédier, le Maroc, pays de droit islamique qui prohibe l’adoption telle qu’elle est définie en Droit international, s’est tourné vers la kafala, une notion juridique reconnue en Islam. On trouve sa légitimité dans le Coran (Sourate 33, Les coalisés) et à travers l’histoire du prophète Mohammed et de son fils adoptif Zayd Ibn Haritha. L’interdit de la parenté adoptive témoigne d’un système de parenté patrilinéaire, fondé sur l’alliance et le biologique. En prohibant la création d’un lien filial entre l’adopté et l’adoptant, l’islam limite les effets juridiques de cette adoption. La kafala permet ainsi à un adoptant de recueillir un enfant, sans pour autant lui permettre d’hériter de lui. Reconnu par les conventions internationales (New York 1989, La Haye 1996), ce concept constitue une mesure de protection de l’enfance qui permet de confier un enfant (makful), durant sa minorité, à une famille musulmane (kafil) afin qu’elle assure bénévolement sa protection, son éducation et son entretien durant sa minorité — la prise en charge est étendue jusqu’au mariage pour les filles —.
Selon l’article 2 de la loi n° 15-01, «la prise en charge (la kafala) d’un enfant abandonné, au sens de la présente loi, est l’engagement de prendre en charge la protection, l’éducation et l’entretien d’un enfant abandonné au même titre que le ferait un père pour son enfant. La kafala ne donne pas de droit à lafiliationni à la succession».
À travers la kafala, le Maroc, comme la plupart des pays musulmans, à l’exception de l’Indonésie, la Turquie, la Somalie, le Liban ou encore la Tunisie, souhaite préserver la filiation d’origine de l’enfant, bien que la grande majorité des enfants soit de filiation inconnue. En prohibant la création d’un lien de filiation, le Royaume défend un système de parenté basé sur une union matrimoniale entre un homme et une femme de laquelle naissent des enfants. Une parenté engendrée par le sang. Depuis 2002, lelégislateuratoutefois donné la possibilité aux kafils d’offrir leur nom aux enfants qu’ils ont recueillis.
Lire aussi :Kafala : une procédure obsolète
En dépit des grandes réformes que le Maroc a connues dans ce sens, ce dernier a encore des efforts à faire. Afin de renforcer les procédures de prise en charge des enfants abandonnés, Moulay El Hassan Daki, procureur général du Roi près la Cour de cassation et président du ministère public, a appelé à accorder à la protection des enfants abandonnés une attention particulière. Notamment, dans le respect des contrôles juridiques qui régissent le processus de leur prise en charge. Dans ce sens, le responsable a envoyé une circulaire aux représentants de la tutelle. Dans ce document, il les appelle à prendre les mesures nécessaires pour inscrire les enfants abandonnés dans les registres de l’état civil dans les plus brefs délais, et «à renforcer la coordination entre le parquet compétent d’une part, et l’intérêt de l’état civil d’autre part, en ce qui concerne les naissances survenues en dehors de l’influence du tribunal compétent». Cette circulaire exhorte les juges du ministère public à œuvrer pour l’élargissement du «cercle de suspension du jugement préliminaire dans le cas où les parents de l’enfant sont des personnes non identifiées, afin d’inclure les services de justice familiale, les centres d’hébergement et les établissements publics les plus importants, avec le respect du délai de trois mois pour intervenir et engager les démarches légales nécessaires».
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L’histoire d’une success-story de la kafala
« Moi, fils unique de trois mamans » met l’accent sur la question de la kafala, sur les problèmes de notre société, dont le silence peut probablement s’expliquer par des tabous culturels et lapeur des mères célibataires d’êtrestigmatisées. À travers un récit touchant, cet ouvrage biographique raconte l’histoire de Yazid, un enfant plein de vie et d’intelligence. Un enfant comme les autres. En quelque sorte, mais pas vraiment, puisqu’il est élevé par trois mamans. Un témoignage du courage d’une mère célibataire qui a refusé d’abandonner son enfant ainsi que celui d’une famille qui a réussi à dépasser les préjugés de la société marocaine. Dans son premier ouvrage, Nadia Chraïbi, qui croit fermement que les enfants doivent rester avec leurs mamans, montre qu’avec un peu de compassion, de solidarité et d’amour, cette catégorie mise au ban de la société, peut s’efforcer de façonner un avenir radieux et meilleur. Quand l’auteure a décidé de lier sa vie et celle de sa famille avec celle du petit Yazid et sa mère Rabha, elle a montré comment un enfant né hors mariage peut s’épanouir et grandir comme tous les autres enfants, si on lui offre cette chance. Le livre, dont toutes les recettes appartiennent à Yazid, met également l’accent sur les limites juridiques de la kafala. Une lecture incontournable pour toute personne passionnée ou simplement intéressée par les aspects juridiques et sociétaux de la kafala.
LeBrief : Votre livre porte un message audacieux. Qu’est-ce qui vous a inspiré pour l’écrire ?
Nadia Chraïbi :Yazid et sa capacité en tant qu’enfant à accepter son destin. Une envie de partager cette expérience inédite de la kafala.
Vous travaillez dans le monde de la finance, bien loin du monde de l’édition. Comment vous est venue l’idée de le publier ?
Nadia Chraïbi :En discutant avec quelques personnes, je me suis rendue compte que les gens ne disaient pas toujours la vérité aux enfants « adoptés » de peur de les perdre. Mais il arrive que souvent ceux qui partent ce soient ceux à qui on a caché la vérité sur leurs origines.
Quand vous avez proposé votre manuscrit à un éditeur pour la première fois, quelles étaient vos aspirations pour cet ouvrage ?
Nadia Chraïbi :Les choses se sont passées différemment. J’ai présenté l’idée à un éditeur qui m’a découragé trouvant le sujet peu intéressant. J’ai décidé de procéder par une auto-édition. Et quand le livre a connu un succès, je l’ai présenté à un autre éditeur pour une plus grande distribution, il m’a confié que j’avais déjà pris tout le marché auquel il aurait pu s’adresser. Le livre a été vendu en dehors du Maroc également.
En raison de la stigmatisation qui entoure les mères célibataires au Maroc, certaines familles éviteraient de prendre en charge un enfant en kafala et de ne pas le séparer de sa maman. Quel a été le processus de réflexion derrière cette décision ?
Nadia Chraïbi :Pour moi, il ne faut jamais séparer un enfant de sa maman à moins d’une tragédie. Ces mères célibataires sont, pour la majorité, démunies et rejetées par leur entourage. On ne peut pas leur imposer aussi de se séparer d’un être qui a fait partie d’elles-mêmes pendant neuf mois.
Comment votre entourage a-t-il réagi ?
Nadia Chraïbi :J’ai pris ma décision seule. Et je suis entourée d’une famille exceptionnellement tolérante, qui réagit toujours dans un esprit constructif. Leur soutien est indéfectible à tout point de vue.
Qu’est-ce qui vous avaitpoussésà être transparents avec Yazid ?
Nadia Chraïbi :J’ai connu et entendu des histoires malheureuses de parents kafil qui ont fait le choix de ne pas informer leurs enfants « makfoul ». La fin de l’histoire est souvent malheureuse. Les enfants finissent par apprendre la vérité un jour ou l’autre.
Pensez-vous qu’il l’assimile correctement ?
Nadia Chraïbi :Aujourd’hui, oui. Il en parle à cœur ouvert. Il en débat en classe si le sujet est traité par un professeur. Il défend ses idées. Certes, il regrette l’absence de son père, mais se résigne, car il reconnait qu’il est suffisamment aimé par sa famille, soutenu par ses amis et qu’il bénéficie de la bienveillance de tout son entourage. Pour moi, il n’est pas différent des autres enfants qui ne connaissent pas leur père par suite à un décès ou à une séparation de couple ou…
Comment avez-vous pris la décision de l’envoyer voir un psychologue ?
Nadia Chraïbi :C’est sur la recommandation de quelques personnes de mon entourage qui avaient plus d’expérience que moi, particulièrement une cousine, une chevronnée des droits des enfants en particulier et des droits de l’Homme en général.
Yazid raconte à quel point il aime avoir trois mamans. Pensez-vous que trois mamans peuvent combler le manque d’un père dans la vie d’un enfant ?
Nadia Chraïbi :La place d’un père reste irremplaçable au même titre que celle d’une mère. D’où l’idée de ne jamais séparer un enfant de sa mère.
Dans votre livre, vous mentionnez que Yazid est venu vous raconter que le professeur d’éducation islamique leur a enseigné dans une leçon qu’un enfant né hors mariage est un enfant haram. Que pensez-vous de ça ?
Nadia Chraïbi :Je respecte, mais je n’accepte pas, je ne cautionne pas non plus.
Comment pensez-vous que ce genre de sujets devraient être abordés à l’école ?
Nadia Chraïbi :Il y a plusieurs façons d’expliquer les lois islamiques à des enfants. Je fais confiance au corps professoral marocain de trouver la meilleure manière de le faire.
Vous avez rédigé, signé et légalisé une reconnaissance qui atteste que vous n’allez en aucun cas détourner l’enfant de sa maman. Était-ce une précaution nécessaire ?
Nadia Chraïbi :À l’époque Yazid avait un an. La maman se sentait seule au monde malgré toute la bienveillance qui l’entourait de notre part. Ma décision venait corroborer mon engagement de ne jamais la séparer de son enfant. C’est une femme méritante qui n’a jamais pensé une seule seconde abandonner son enfant une fois qu’il était né.
Pourquoi avez-vous pris cette décision ? Qu’en pense Rabha ?
Nadia Chraïbi :Rabha est heureuse d’avoir rétabli ses liens avec sa famille, reconnaissante à tous ceux qui l’ont accueillie et aidée à se reconstruire. Elle est surtout confiante en l’avenir de son enfant.
Que pensez-vous de la loi n° 15-01 relative à la kafala ?
Nadia Chraïbi :Je pense qu’il serait bien de l’assouplir afin de générer encore plus de familles d’accueil. De plus, il est important de mettre en place un système de suivi régulier par une instance de contrôle judiciaire.
Avez-vous peur de perdre Yazid après ses 18 ans ?
Nadia Chraïbi :Tous les enfants partent un jour ou l’autre. Yazid est un enfant comme les autres. Je pense que nous avons donné à Yazid une bonne éducation, qu’il s’est construit en lui un lien familial intense qu’il ne pensera pas abandonner les siens aussi facilement. Il a des référents solides dans son entourage.
Quel est le message que vous voulez faire passer ?
Nadia Chraïbi :Accueillir dans la sérénité. Agir avec foi. Donner sans attendre de retour. Sauver une vie et ne jamais condamner une mère célibataire ou un enfant abandonné, ça pourrait arriver à n’importe qui. Tout le monde a droit à une seconde chance.
Avez-vous d’autres projets de livre ?
Nadia Chraïbi :Pour le moment je laisse digérer le succès du premier qui continue àbien se vendre uniquement sur commande et grâce aux réseaux sociaux.
Insaf, un refuge pour les mères célibataires
L’abandon d’enfants et l’exclusion sociale des mères célibataires ont mené des acteurs de la société civile à créer des structures spécifiquement dédiées aux mères et à leurs enfants, à des fins de prise en charge et de lutte contre l’abandon. Le but est de permettre l’inclusion de milliers de femmes et d’enfants, et œuvrer pour une reconnaissance juridique de leurs droits fondamentaux. À Casablanca, une association vient en aide à ces femmes rejetées par la société. Depuis plus de vingt ans, l’Institut national de solidarité avec les femmes en détresse (Insaf), où Rabha elle-même a cherché du soutien, leur offre un toit, des soins, et une formation professionnelle. Créée en 2002, cette association vise à aider ces femmes à se reconstruire et se persuader qu’elles ont le droit, comme tout le monde, de vivre dans la dignité et le respect.
Selon un rapport réalisé par cette association et l’Entité des Nations unies pour l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes (ONU femmes), en termes d’organisation et de structuration des activités, Insaf formalise l’ensemble de ses interventions au moyen d’outils professionnels, techniques, avec des branches, pôles d’activités, métiers, et missions attribuées. Les domaines de la réflexion, stratégie, définition des plans d’action, sont différenciés des opérations. L’opérationnel se focalise sur les métiers de basede l’association : écoute, accompagnement, hébergement, formation, insertion. L’hébergement des femmes en interne se conçoit généralement comme une aide d’urgence avec une durée limitée. Il tend aujourd’hui, à s’ouvrir davantage à certaines d’entre elles, non contenues dans les critères auparavant fixés : cette ouverture reste cependant relative.
Aujourd’hui, forte de son expertise et de ses résultats encourageants, l’Insaf peut compter sur l’implication des autorités locales et d’autres acteurs associatifs. «L’État nous a offert le terrain. La construction de l’immeuble qui abrite l’institution a été prise en charge par l’Initiative nationale pour le développement humain (INDH)», explique Latifa Ouazahrou à TV5. Quant aux financements, «nous recevons des dons de particuliers pour les petites bonnes. Toutefois, en ce qui concerne le pôle des mères célibataires, c’est plus compliqué. De manière générale, les Marocains se refusent à financer ce qu’ils considèrent comme un pêché», regrette Salma Benhamza, la responsable administrative et financière.
Le secteur associatif a connu un développement assez considérable au Maroc, et ce, plus particulièrement, depuis les années 1990. Ainsi, outre Insaf, il existe des dizaines d’autres associations qui viennent en aide à cette partie de la population. Il s’agit notamment de l’association Solidarité féminine, l’association Oum Al Banine, l’association IPDF, l’association 100% mamans, la congrégation des Sœurs, l’association Insat, l’association Basma, l’association Widad, l’association Bayti, l’Unité de protection de l’enfance à Casablanca, l’association Heure Joyeuse… En dehors de ces intervenants évoqués, de nombreux autres acteurs s’investissent dans le travail auprès de mères célibataires, généralement incluses dans une population globale, de femmes démunies, vulnérables, seules avec enfants…
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