À cinq mois des élections législatives, régionales et communales prévues au mois de septembre prochain, la fièvre électorale commence à monter dans les états-majors des différentes formations politiques. Il s’agit pour la trentaine de partis engagés dans la bataille électorale de dégager leurs candidats et de désigner les têtes de liste pour les circonscriptions dans lesquelles ils ambitionnent de briguer des sièges. Ce filtrage des candidats est un processus assez opaque et qui diffère d’un parti politique à un autre. Les dirigeants des partis monnaient les tazkiyates (accréditations) et leur soutien en échange de sommes importantes et d’une fidélité aveugle. Les candidats sont obligés de se plier à toutes les conditions pour obtenir la caution politique, prérequis obligatoire à la présentation d’un dossier de candidature. Zoom sur une pratique qui a la peau dure.

La quête de l’idéal démocratique passe par une reconfiguration du champ politique. Les partis politiques sont la clé de voûte à travers leur organisation interne. S’ils sont bien organisés et qu’ils donnent l’exemple en renforçant la démocratie interne, nos partis réussiront à réconcilier les citoyens avec la vie politique. Aujourd’hui, on en est loin. Le clientélisme dans la gestion des accréditations aux élections est une manifestation frappante d’un discours partisan en déphasage avec les attentes des militants. Si des membres généreux font des dons pour soutenir leur parti, d’autres sont obligés de passer à la caisse pour obtenir le fameux sésame, pièce maîtresse du dossier de candidature aux élections. Sans oublier le privilège accordé à certains candidats d’être placés en tête de liste, ce qui équivaut pour ceux qui représentent les grandes formations politiques aux élections, une victoire quasi-garantie.

Un processus de sélection opaque

Chaque formation politiquea mis en place son propre process de sélection ainsi que les critères à respecter pour établir la liste des candidats qui prendront part aux élections sous son étiquette. Un mécanisme qui devrait en principeêtre en conformité avec les dispositions du règlement intérieur du parti. Mais certaines circonscriptions ont déjà été attribuées à des ténors de par leur ancienneté et leur popularité dans leur fief au fil des ans. Pour les autres circonscriptions, on étudie les possibilités offertes pour ne pas dire les offres.

Àchaque parti son système de filtrage. Il y en a qui constituent des commissions régionales de candidatures avec proposition de noms et votentpour élire les candidats avec l’aval final d’une commission centrale. Cette dernière est généralement présidée par le secrétaire général. Alors que d’autres laissent le choix du candidat à l’appréciation et à la discrétion des dirigeants.

Tazkiya: quels critères?

A la lecture des règlements intérieurs de huit principaux partis, les critères d’accréditation des candidats aux élections sont admirables: ancienneté, honnêteté, compétence… Il ne manque que le terme méritocratie pour couronner ces louables intentions. Si l’on peut comprendre que les militants cèdent la place aux ténors des urnes qui en maîtrisent les rouages, on ne peut accepter qu’un cadre dynamique au sein d’un parti soit écarté parce qu’un fortuné arrive, non pas avec un programme ou une vision, mais avec une mallette remplie de billets bleus.

Les critères d’octroi des accréditionsdemeurent dans l’ensemble subjectifs. Les relations familiales, la proximité de la direction du parti et l’argent ne font pas bon ménage avec la pratique démocratique. Des partisans engagés et connus pour leur militantisme se voient privés d’une participation aux élections. Des hommes et femmes compétents et honnêtes sont écartés au profit d’arrivistes ou de parachutés qui, parfoissont même proposés comme profils ministrables. Si l’on y ajoute les luttes d’influence qui agitent généralement les appareils dirigeants et les instances locales des partis, pour faire accréditer le choix des « meilleurs » candidats etleur rang d’éligibilité, c’est le chaos.

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Un business juteux

Pour se faire élire, ilfaut gagner la confiance des électeurs. Mais avant cela, il faut obtenir les bonnes grâces d’un parti politique, ou bien être prêt à réaliser les 12 travaux d’Hercule et se présenter en tant que candidat sans appartenance politique (SAP). Autant dire, qu’il est presqu’impossible de constituer le dossier de candidature avec tous les documents et les signatures exigées sans l’appui d’une formation politique.

Un chirurgien de renom avait été tenté par les législatives de 2011. N’étant membre d’aucun parti, il s’intéressaà une formation dont il partageait l’idéologie. Il frappaà la porte du bureau de ladite formation partisane à Casablanca, fit connaissance avec le secrétaire provincial qui lui proposade l’accompagner à Rabat chez un membre du bureau politique du parti pour qu’il lui accorde la tazkiya. Les deux hommes convenèrent d’un rendez-vous pour aller ensemble au siège du parti. Tout au long du trajet, le délégué provincial expliquaau chirurgien qu’il a fait le bon choix et que sa démarche serait couronnée de succès. Il fit allusion à une somme d’argent devant servir à soutenir l’effort de guerre du parti pendant la campagne électorale. Jusqu’ici, aucun montant n’est précisé. Arrivés à Rabat, notre chirurgien se retrouvadans une salle d’attente avec une dizaine de personnes. Il attendra près de trois heures avant d’être reçu par l’un des membres les plus influents du parti. Ce dernier lui posa trois questions: «Êtes-vous sûr de remporter ce siège? Avez-vous une base électorale? Êtes-vous connu dans cette circonscription?». Le médecin répond par l’affirmative. Le politicien lui dit alors clairement qu’il faut contribuer à la campagne électorale et lui demanda400.000 DHpour la tazkiya. Subjugué par la somme réclamée, le chirurgien se levaet quittale bureau du numéro 3 du parti.Il fut rattrapé par le délégué provincial qui essayade lecalmer et de lui expliquer le sens de la démarche. Il l’invitapar la suite à déjeuner à la Villa Mandarine, restaurant huppé de la capitale. Ils y croisèrent plusieurs personnalités politiques. A la fin du festin, notre chirurgien est dégoûté par la politique. Il ne veut qu’une chose, retourner à Casablanca et se concentrer sur son activité professionnelle. Il devra tout de même régler la facture du repas totalisant près de 3000 DH.

Vous avez dit renouvellement de la classe politique?

400.000 DH réclamés pour une tazkiya est un montant « raisonnable », assure un professeur universitaire, ex-candidat malheureux aux élections de 2016. «Ça peut aller jusqu’à deux millions de dirhams si c’est une grande formation politique et dépendamment de l’ordre du candidat dans la liste de la circonscription en question. Une tête de liste et son second paieront beaucoup plus cher surtout dans les grandes villes», soutient l’intéressé. Pourtant, un simple retour vers le passé et un arrêt sur l’année 2001 nous aiderait à comprendre que les termes du débat sont les mêmes: effets pervers de l’argent sale, pratiques fallacieuses des dirigeants de partis, absence de démocratie interne des formations politiques. On ne parle même pas des tares du financement public qui ont été récemment corrigées à travers la loi organique 07-21 récemment adoptée. A l’époque, tous les partis se disaient prêts à jouer le jeu de la transparence et rompre avec des pratiques fortement ancrées dans le paysage partisan. 20 ans après, force est de constater que rien n’a véritablement changé. Les mentalités continuent d’entretenir un label partisan pâle qui n’attire personne. Des dirigeants d’un autre temps qui ne cherchent qu’à rester en haut du podium et à s’assurer l’appui des membres qui comptent le plus tout en cantonnant les jeunes à des activités dans le cadre d’une organisation parallèle appelée « jeunesse du parti ».

C’est donc un feuilleton interminable à la veille de chaque scrutin, une réalité amère qui prévaut au sein de la trentaine de partis qui composent l’échiquier politique marocain. Ces partis de couleurs et d’obédiences diverses, portent tous le slogan de la lutte contre la corruption. Un slogan qui devrait se traduire dans les faits en rendant plus transparente la procédure de délivrance des tazkiyates pour les candidats aux élections. Aussi, le législateur devrait revoir les conditions de candidature pour les différents scrutins et rayer celles quasi-impossibles à remplir, comme la tazkiya, par les jeunes qui voudraient se lancer en politique. C’est un préalable si, et seulement si, on veut vraiment renouveler notre classe politique.

Article 23 de la loi organique n° 27-11 relative à la Chambre des représentants Les listes de candidatures ou les déclarations individuelles de candidatures présentées par des candidats à appartenance politique doivent être accompagnées d’une lettre d’accréditation délivrée, à cette fin, par l’organe compétent du parti politique au nom duquel la liste ou le candidat se présente. En outre, les listes de candidatures ou les déclarations individuelles de candidatures présentées par des candidats sans appartenance politique doivent être accompagnées : a) du texte imprimé de leur programme ; b) de l’indication de l’origine du financement de leur campagne électorale ; c) d’un document portant : * la liste des signatures légalisées, à raison de 200 signatures au moins, par siège attribué à la circonscription électorale locale, dont 80% de signatures d’électeurs de ladite circonscription et 20% de signatures d’élus de la région dont relève la circonscription électorale concernée, parmi les membres des deux chambres du Parlement et/ou des conseils des collectivités territoriales et/ou des chambres professionnelles, lorsqu’il s’agit des candidatures présentées au titre des circonscriptions électorales locales ; * la liste des signatures légalisées de 500 membres des deux chambres du Parlement et/ou des Conseils des collectivités territoriales et/ou des chambres professionnelles relevant de la moitié au moins des régions du Royaume, à condition que le nombre des signataires dans chaque région ne soit pas inférieur à 5% du nombre des signatures requises, lorsqu’il s’agit des candidatures présentées au niveau de la circonscription électorale nationale.

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