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Au lendemain de l’indépendance et avant même d’adopter la première Constitution en 1962, le Maroc a entamé son expérience législative par l’installation d’un Conseil national consultatif en 1956. Le premier président de cette institution n’était autre que le grand leader politique Mehdi Ben Barka. Bien que ses membres n’aient pas été élus au suffrage universel, le Conseil national consultatif était composé d’une élite hautement qualifiée qui a joué un rôle clé pour préparer le terrain afin quela société marocaine, fraîchement libérée du joug du protectorat, puisse prendre en main son destin.
Au niveau de tout État moderne, les principes démocratiques supposent l’existence d’un Parlement placé au cœur de la démocratie. Après l’adoption de la Constitution par référendum, le Maroc organise ses toutes premières législatives en 1963 pour élire les membres du Parlement bicaméral composé d’une Chambre basse appelée « Chambre des représentants » et d’une Chambre haute désignée « Chambre des conseillers ». La première législature comptait 144 membres élus au suffrage universel direct pour quatre ans à la 1re Chambre et 120 membres élus au suffrage universel indirect pour la 2e Chambre. Cette première législature ne durera finalement que deux ans. L’état d’exception est déclaré par feu Hassan II en 1965, un état d’exception dicté entre autres par l’échec de l’expérience parlementaire. Aucune formation politique n’ayant la majorité absolue, l’opposition adoptera une attitude offensive. Motion de censure, demande de session extraordinaire, blocage de textes de loi…
Entre 1970, année de levée de l’état d’exception et 2021, les législatures se sont succédées tantôt avec un Parlement monocaméral tantôt avec deux Chambres (cf. frise chronologique). Aujourd’hui, six mois nous séparent de la fin de la dixième législature. Mais avant les prochaines élections, il est utile de s’arrêter sur le rôle que jouent les deux Chambres parlementaires.
515 parlementaires
Rabat, avenue Mohammed V. A quelques mètres de la gare Rabat-Ville se dresse le bâtiment du Parlement. La bâtisse centrale située sur l’une des principales artères de la capitale faisait office de Palais de justice avant d’être transformée dans les années 70 en siège des deux Chambres du Parlement.
Dans les années 2000, la Chambre des conseillers quittera ses locaux devenus trop étroits pour les deux Chambres et s’installera dans un bâtiment flambant neuf dans une ruelle mitoyenne et communiquant avec le siège de la Chambre des représentants. De quoi faciliter le travail des 515 parlementaires surtout quand ils doivent tenir des séances communes.
Les membres de la Chambre des représentants sont au nombre de 395. Ils sont élus pour cinq ans au suffrage universel direct.
Le mandat de la Chambre des conseillers est quant à lui étendu à six ans. Ses 120 membres sont élus au suffrage universel indirect. 72 conseillers sont élus par un collège électoral composé des représentants des collectivités locales et 48 conseillers sont portés par des collèges électoraux composés d’élus des chambres professionnelles, des organisations patronales et des représentants des salariés.
Tous les parlementaires perçoivent près de 30.000 DH par mois en plus d’autres indemnités. Ils bénéficient d’une assurance-maladie mais n’ont plus droit à une pension de retraite. Les caisses de retraite des deux Chambres sont en cours de liquidation.
Députés et conseillersmain dans la main
En plus de la loi suprême qui détermine les attributions des parlementaires, les règlements intérieurs des deux Chambres clarifient les missions de nos élus. Dans ce sens, ces derniers exercent le pouvoir législatif, votent les lois, contrôlent l’action du gouvernement et évaluent les politiques publiques. Il faut le souligner, la responsabilité du gouvernement est engagée devant le Parlement dès sa nomination. Le Chef de l’exécutif doit en effet se présenter devant chacune des deux Chambres pour décliner les grandes lignes de son programme. Débattu devant chaque Chambre, le programme n’entraîne de vote que devant celle des représentants. A la chambre des Conseillers, la procédure se restreint à un simple débat.
Le refus de confiance à la majorité absolue des membres composant la 1re Chambre entraîne la démission collective du gouvernement. Et puis il y a la motion de censure. La Chambre basse peut sanctionner le gouvernement par le vote, à la majorité absolue, d’une motion de censure. Une fois votée, elle entraîne la démission collective du gouvernement. La Chambre des conseillers peut pour sa part interpeller le gouvernement par le moyen d’une motion signée par un cinquième au moins de ses membres.
Complémentarité entre les deux Chambres
À noter que la Constitution de 2011 a consacré le principe de prééminence de la Chambre des représentants. C’est-à-dire que la Chambre basse aura toujours le dernier mot quand il s’agit d’amender un texte de loi ou de l’adopter ou pas. Aussi, les projets de loi sont déposés en priorité sur le bureau de la Chambre des représentants, exception faite des projets de loi relatifs notamment aux collectivités territoriales, au développement régional et aux affaires sociales qui sont déposés en priorité sur le bureau de la Chambre des conseillers. Il y a donc complémentarité entre les deux Chambres. Même s’ils ne l’utilisent pas comme il faudrait, les parlementaires disposent d’une panoplie d’instruments pour mener à bien leur mission. L’initiative des lois n’appartient pas au seul exécutif.
Les membres du Parlement peuvent aussi rédiger des propositions de loi et les présenter au gouvernement. Au niveau du contrôle de l’action gouvernementale, au-delà des questions écrites ou orales adressées aux différents ministres, des commissions d’enquête peuvent être formées par les parlementaires pour recueillir les éléments d’information sur des faits déterminés ou sur la gestion des services, entreprises et établissements publics, et soumettre leurs conclusions à la Chambre concernée. Elles peuvent être créées à l’initiative du Roi ou à la demande du tiers des membres de la Chambre des représentants ou du tiers des membres de la Chambre des conseillers. Enfin, nos élus jouent aussi un rôle à l’international. La diplomatie parlementaire s’est aussi développée progressivement au cours des dernières années. Le Parlement marocain a renforcé sa présence au sein des forums, conférences et rencontres des organisations parlementaires, internationales et régionales. Des groupes d’amitié et de fraternité parlementaires ont aussi été mis en place. La présence active et régulière sur la scène de la diplomatie parlementaire internationale a permis aux deux Chambres et à leurs membres de présider plusieurs organisations parlementaires au niveau international et d’accueillir et d’organiser des manifestations régionales et mondiales.
Chambres d’enregistrement?
En clôturant la session d’automne au mois de février dernier, les présidents des deux Chambres se sont targués d’un bilan honorable. 10 propositions de loi (à l’initiative des élus) ont été adoptés au total. Pas de quoi se réjouir quand on sait que 64 projets de loi (à l’initiative du gouvernement) ont été approuvés. Pour nos concitoyens, le rôle des parlementaires est purement figuratif et leur pouvoir restreint. Selon le politologue Abdelhamid Benkhattab, «en dépit des différentes réformes statuaires et juridiques apportées pour améliorer son fonctionnement, comme l’instauration du bicaméralisme, en septembre 1996, et l’élargissement des compétences des élus en matière du contrôle et d’interpellation du gouvernement, beaucoup persistent à qualifier cette instance de simple bureau d’enregistrement pour le gouvernement».
Parmi les reproches qu’on fait souvent aux élus siégeant à la 1re ou à la 2e Chambre, au-delà du courage politique, c’est le manque de compétence pour décortiquer et amender les textes présentés par le gouvernement, même s’il faut reconnaître que nous ne voyons plus arriver à l’hémicycle des élus analphabètes. Ces dernières années, des profils-experts dans tous les domaines ont été élus et ont relevé le niveau du travail parlementaire. Des économistes, des médecins ou encore des ingénieurs sont aujourd’hui en fin de mandat et se préparent pour demander aux électeurs de leur renouveler leur confiance. Mais au vu des moyens financiers alloués aux deux Chambres (cf. infographie), des parlementaires sortants formulent le vœu de voir le Parlement s’attacher les services, même ponctuels, d’équipes et de techniciens pour les épauler. Contrairement aux membres du gouvernement, nos élus ne sont pas assez outillés pour contre-argumenter ou amender un projet de loi.
Messieurs les présidents…
La course au perchoir. On observe une effervescence particulière à chaque fois qu’il faut élire les présidents des deux Chambres du Parlement. Les présidents de la Chambre des représentants et de celle des conseillers sont respectivement les 3e et 4e personnages dans l’ordre protocolaire de l’État. Les présidents des deux Chambres sont membres du Conseil de régence. Le Roi les consulte avant proclamation de l’état d’exception. Le Chef de l’État les consulte aussi avant dissolution des deux Chambres ou l’une d’elles.
Le président de la Chambre des représentants nomme trois membres de la Cour constitutionnelle après consultation des groupes. Il en est de même pour le président de la 2e Chambre. Les présidents de deux Chambres parlementaires peuvent déférer à la Cour constitutionnelle les lois avant leur promulgation au même titre que le Roi et le Chef du gouvernement. En somme, les deux fonctions sont importantes d’un point de vue procédural et médiatique.
Au quotidien, la fonction de président de la Chambre basse ou de la Chambre haute du Parlement implique de présider un certain nombre de séances, surtout les plus médiatiques comme celle de présentation du programme gouvernemental, celle de présentation du projet de loi de finances et celle où le Chef du gouvernement est auditionné mensuellement dans le cadre de questions de politique générale. Pour le reste, les vice-présidents peuvent les remplacer. L’autre mission qui est confiée aux présidents se déroule en coulisses, à l’occasion de la conférence des présidents : un organisme collégial où siègent les présidents des commissions (où les textes sont étudiés et votés avant d’être débattus en plénière), des groupes parlementaires. Dans ce cadre, les présidents des deux Chambres jouent un rôle de maîtres des horloges du travail parlementaire. Côté matériel, les deux personnalités ont droit à un traitement digne des membres du gouvernement. Leur salaire avoisine les 40.000 DH par mois. Ils disposent de primes de représentation et de logement en plus d’une voiture, d’un chauffeur et d’un cuisinier.
Bienvenue au «cirque parlementaire»
Dans les années 1990, exception faite des interventions des ténors de l’opposition (cf. vidéo), les débats parlementaires reflétaient une piètre image de l’institution avec des scènes parfois surréalistes obligeant les présidents à lever la séance.
Un véritable « cirque parlementaire ». C’est feu Hassan II qui avait utilisécette expression dans l’un de ses discours dans les années 1990. Les retransmissions des séances des questions orales donnaient alors lieu à un véritable spectacle comique avec des joutes verbales, l’outrance des propos, les métaphores destinées à susciter l’ire des citoyens, émanant aussi bien des élus que des ministres. Du caniveau… Et encore! Feu Hassan II n’a pas vu les échanges entre l’ex-Chef du gouvernement Abdelilah Benkirane et certains représentants du peuple, traités de « voyous » en direct à la télévision (cf. vidéo).
Il n’a pas vu non plus la bagarre entre l’ancien secrétaire général du grand parti nationaliste de l’Istiqlal et un ex-député du Parti authenticité et modernité (PAM). C’était en 2014, les deux hommes « politiques »en sont arrivés aux coups de poings, gifles et morsures.
Le malheur, c’est que cet incident s’est passé juste après le discours d’ouverture du Parlement prononcé par le roi Mohammed VI. Dans ce discours, le Souverain a appelé les élus à donner l’exemple aux Marocains et à privilégier l’intérêt de la Nation sur l’intérêt personnel. Ces dernières années, les choses ont empiré sous l’hémicycle.
«Quand les élus sont présents, parce que l’absentéisme est la règle générale, ils viennent pour régler des questions administratives à Rabat ou pour se réunir avec les membres de leur parti», nous confie un jeune parlementaire sous couvert d’anonymat. «Quand j’ai intégré le Parlement en 2016, certaines pratiques m’ont choqué. Il s’agit surtout des insultes et des mises en scène destinées à amadouer le public. Combien de fois j’ai assisté à des clashs entre deux politiciens et je les ai croisé à la sortie en train de ricaner et de se féliciter par rapport à leur prestation théâtrale», ajoute notre interlocuteur.
Vu le rendement du Parlement, il n’est pas étonnant de voir la majorité des Marocains tourner le dos à la politique. Pour la prochaine législature, il faudrait commencer par rééquilibrer la production législative entre les propositions de loi et les projets de l’exécutif. Il est aussi plus que vital de repenser les séances de questions orales et celles de politique générale. Il en va de la crédibilité de l’institution législative.
Article 10 de la Constitution La Constitution garantit à l’opposition parlementaire un statut lui conférant des droits à même de lui permettre de s’acquitter convenablement de ses missions afférentes au travail parlementaire et à la vie politique. Elle garantit, notamment, à l’opposition les droits suivants : – la liberté d’opinion, d’expression et de réunion ; – un temps d’antenne au niveau des médias officiels, proportionnel à leur représentativité ; – le bénéfice du financement public, conformément aux dispositions de la loi ; – la participation effective à la procédure législative, notamment par l’inscription de propositions de lois à l’ordre du jour des deux Chambres du Parlement ; – la participation effective au contrôle du travail gouvernemental, à travers notamment les motions de censure et l’interpellation du Gouvernement, ainsi que des questions orales adressées au Gouvernement et dans le cadre des commissions d’enquête parlementaires ; – la contribution à la proposition et à l’élection des membres à élire à la Cour Constitutionnelle, – une représentation appropriée aux activités internes des deux Chambres du Parlement ; – la présidence de la commission en charge de la législation à la Chambre des Représentants, – disposer de moyens appropriés pour assurer ses fonctions institutionnelles ; – la participation active à la diplomatie parlementaire en vue de la défense des justes causes de la Nation et de ses intérêts vitaux ; – la contribution à l’encadrement et à la représentation des citoyennes et des citoyens à travers les partis politiques qui la forment et ce, conformément aux dispositions de l’article 7 de la présente Constitution ; – l’exercice du pouvoir aux plans local, régional et national, à travers l’alternance démocratique, et dans le cadre des dispositions de la présente Constitution. Les groupes de l’opposition sont tenus d’apporter une contribution active et constructive au travail parlementaire. Les modalités d’exercice par les groupes de l’opposition des droits susvisés sont fixées, selon le cas, par des lois organiques ou des lois ou encore, par le règlement intérieur de chaque Chambre du Parlement.
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