Ce samedi 20 mars 2021, le Maroc boucle une année sous l’état d’urgence sanitaire dans le cadre de la lutte contre la pandémie de Covid-19. Le gouvernement a usé de ces prérogatives en décrétant différentes mesures : confinement, port du masque obligatoire, fermeture de nombreux espaces de vie, interdiction de se rassembler au-delà d’un certain nombre de personnes, limitation des déplacements… Retour sur cette année sous l’état d’urgence sanitaire, qui a été pour les Marocains une année éprouvante, une année de suspension des libertés.

Dans la soirée du 2 mars 2020, les Marocains suivent avec curiosité les journaux télévisés qui s’arrêtent sur la conférence de presse tenue quelques heures auparavant par le Chef du gouvernement Saad Dine El Otmani et le ministre de la Santé Khalid Aït Taleb. Lors de ce point avec les médias, les deux officiels ont affirmé qu’aucun cas d’infection au nouveau coronavirus n’a été détecté sur le territoire national et que la situation était maîtrisée.

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Pourtant, en plein milieu de la conférence de presse, Mohamed Lyoubi, directeur de l’épidémiologie souffle à Aït Taleb dans l’oreille que le premier cas venait d’être décelé. Le soir-même, les autorités feront état dece premier cas de contamination à la Covid-19. Il s’agit d’un Marocain résidant en Italie.

Le 13 mars, les mesures préventives commencent avec une annonce du ministère de l’Éducation nationale, de la Formation professionnelle, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique qui décide de suspendre les cours en présentiel à partir du 16 mars et jusqu’à nouvel ordre. Le 15 mars, le Maroc boucle ses frontières. Le 20 mars, 18 jours après la détection du 1er cas de contamination à la Covid-19 et avec l’enregistrement d’une dizaine de nouveaux cas, le Maroc déclare l’état d’urgence sanitaire à partir de 18h avec restriction de la circulation. Dans la foulée, un confinement sera décrété avec la fermeture des cafés, restaurants et commerces non essentiels, et enfin celle des lieux de culte ainsi que l’interdiction des manifestations. L’état d’urgence sanitaire sera prorogé à maintes reprises, la dernière prolongation court du 4 mars 2021 au 10 avril 2021.

Disposition légales état d'urgence sanitaire

Les dispositions légales

L’annonce de l’instauration de l’état d’urgence sanitaire a été faite via un communiqué du ministère de l’Intérieur du19 mars 2020 alors qu’aucune loi ne prévoyait ce régime exceptionnel. Quatre jours plus tard (le 23 mars), le gouvernement adopte le décret-loi n° 2.20.292 et le décret n° 2.20.293. Ce décret-loi est validé le lendemain par les commissions de l’Intérieur des deux Chambres. Juridiquement parlant, le premier texte présente le cadre général de l’application de l’état d’urgence sanitaire avec la définition des infractions, de sa durée, de sa suspension et de tous les nouveaux délais légaux et réglementaires. Tous les délais prévus par les lois et textes réglementaires sont donc suspendus jusqu’à la levée de l’état d’urgence sanitaire (prescription, forclusion, recours…).Le second texte réglemente l’état d’urgence sanitaire en le plaçant dans le contexte de la lutte contre la propagation du nouveau coronavirus.

Sauf que ces deux textes ne seront publiés au Bulletin officiel (BO) que le 24 mars. Entre le 20 et le 24 mars, l’exécutif était dans une situation de non-droit. L’article 6 de la Constitution est clair sur ce point: «Sont affirmés les principes de constitutionnalité, de hiérarchie et d’obligation de publicité des normes juridiques. La loi ne peut avoir d’effet rétroactif». Quoiqu’il en soit, le décret-loi dispose que toute violation des ordres et décisions des autorités publiques est passible d’une peine d’un à trois mois d’emprisonnement et d’une amende allant de 300 DH à 1.300 DH ou de l’une des deux peines; sans préjudice de la peine pénale plus lourde. Le texte autorise les autorités à prendre toutes les dispositions utiles et nécessaires et également à décréter l’état d’urgence sanitaire dans n’importe quelle région, préfecture, province ou commune ou bien sur l’ensemble du territoire national en cas de besoin, à chaque fois que la sécurité des personnes est menacée par une épidémie ou une maladie contagieuse. Au cours de cette période, les autorités publiques peuvent prendre toutes les mesures nécessaires par des décrets, des décisions administratives, des circulaires ou encore des communiqués. Voilà qui est dit!

L’épreuve du confinement

Il faut tout d’abord faire la distinction entre état d’urgence sanitaire et confinement. Ce dernier n’est qu’un instrument de l’état d’urgence sanitaire. Le Maroc est l’un des pays où le confinement de la population a été le plus long. À compter du 20 mars 2020 et pendant presque trois mois, les Marocains ont vécu une période très spéciale aussi bien à l’intérieur des maisons qu’à l’extérieur. Entre distanciation sociale, horaires restreints et couvre-feu, l’atmosphère est lourde. Pas de sortie sans autorisation exceptionnelle délivrée pour seulement trois motifs: s’approvisionner, se rendre éventuellement chez le médecin ou une pharmacie ourejoindre son lieu de travail. Fini le temps où l’on pouvait siroter une boisson sur une terrasse de café, flâner jusqu’à pas d’heure, grignoter un en-cas à la mahlaba (laiterie) ou faire de la route en pleine nuit. A 18h, les sirènes des véhicules de police retentissent pour presser les épiceries et autres commerces d’alimentation générale à baisser leurs rideaux.

Pendant le mois sacré du Ramadan, les traditions ont été mises sous cloche. Plus de grands rassemblements pour le ftour, pas de prières surérogatoires à la mosquée (Tarawih) ni de sorties nocturnes. Psychologiquement, le confinement a perturbé l’équilibre dans les foyers marocains avec des crises par manque d’intimité pour certains, des divorces annoncés à demi-mot pour d’autres.

Le 7 avril, une nouvelle mesure est décidée dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire. Le port du masque de protection devient obligatoire.

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Pénurie ou pas, tout citoyen qui s’aventurera à sortir dans la rue sans bavette tombe sous l’effet du décret-loi. Pour garantir ces masques en quantités suffisantes, les autorités mobilisent un ensemble d’industriels nationaux pour les produire et subventionnent leur prix de vente fixé à 80 centimes l’unité.

Déconfinement: le Maroc scindé en deux

Calfeutré depuis le 20 mars 2020, le Royaume a décidé d’opter pour un déconfinement progressif à partir du 11 juin tout en maintenant des restrictions sévères dans les grandes villes. Compte tenu de la situation épidémiologique et des écarts sanitaires entre régions, l’exécutif divise le pays en deux zones distinctes. La reprise des activités économiques est autorisée à l’échelle nationale (quelle que soit la zone d’allègement). Elle concerne l’industrie, le commerce, l’artisanat, les activités de proximité et petits métiers, les professions libérales et assimilées et les souks hebdomadaires. Les activités suivantes sont exclues : cafés, restaurants pour le service sur place, hammams, salles de cinéma, salles de sport et malls.

Pour la zone 1, l’allègement des restrictions inclutles déplacements qui ne sont plus soumis à la présentation de l’autorisation exceptionnelle de circulation dans le territoire de la province ou la préfecture, la reprise des transports en commun urbains avec un taux d’exploitation de la capacité de 50% maximum, la réouverture des salons de coiffure et de beauté, avec un taux d’exploitation de la capacité de 50% maximum, la réouverture des jardins publics et des plages, la reprise des activités sportives individuelles en plein air (marche, vélo…). Toutes les autres restrictions restent en vigueur (interdiction des rassemblements et réunions, célébrations, mariages…).

Pour la zone 2, l’allègement est limité. Les commerces doivent fermer à 20h et les transports en commun urbains sont autorisés à reprendre le service avec un taux d’exploitation de la capacité de 50% maximum. Toutes les autres restrictions restent en vigueur. Cette subdivision du pays en deux zones suscite des commentaires hilarants sur les réseaux sociaux. Les « zonards » s’en donnent à cœur joie. A partir de cette date, le Maroc est un pays scindé en deux. Le passage progressif d’une phase à une autre du déconfinement obéira dorénavant à une approche locale, les comités de veille et de suivi présidés par les walis et gouverneurs prendront la main.

Verrouillage

Au mois de juillet 2020, les parlementaires se penchent sur le projet de loi n° 42.20 modifiant le décret-loi n° 2.20.292 édictant des dispositions particulières à l’état d’urgence sanitaire et les mesures de sa déclaration. Le texte élaboré par l’exécutif abroge les dispositions de l’article 6 du décret-loi 2.20.292 portant sur la suppression de tous les délais législatifs et réglementaires stipulés dans les lois en vigueur pendant la déclaration de l’état d’urgence sanitaire. Les dispositions de l’article 6 ont donc été remplacées, permettant au gouvernement de supprimer les délais énoncés dans les textes en vigueur, dès lors qu’une telle situation portant préjudice aux droits et aux engagements pour les personnes concernées eu égard aux mesures prises par les autorités compétentes. Avec les prolongations à répétition de l’état d’urgence sanitaire, il n’était plus question de maintenir la suspension des délais légaux.Le but de ce changement était de prendre en compte les conditions des personnes pendant l’état d’urgence sanitaire, de sorte à leur permettre d’honorer leurs engagements envers l’État et l’administration, mais aussi de protéger leurs intérêts.

Seulement voilà, ce régime dérogatoire à l’État de droit se révèle délicat dans le sens où il concentre les pleins pouvoirs entre les mains de l’exécutif. Ce dernier se targue d’une gestion exemplaire de la pandémie. Dans un rapport intitulé “Un an de gestion de la pandémie Covid-19”, le gouvernement retrace son action dans la gestion de cette crise sanitaire sans précédent et de la méthodologie adoptée. Si les mesures prises pour freiner la propagation du virus ont été salutaires à plus d’un titre, il n’en demeure pas moins que les droits fondamentaux des citoyens ont été mis en veilleuse, notamment la liberté de se déplacer sur l’ensemble du territoire national, d’en sortir ou d’y rentrer. Idem pour le droit de réunion ou de rassemblement.

Dans un communiqué datant du 16 avril 2020, l’Association marocaine des droits humains (AMDH) dénonce les dérives sécuritaires des pouvoirs publics sous prétexte de vouloir maintenir l’ordre public. Face à l’hégémonie de l’administration dans la prise de décision et la gestion de la pandémie, les militants des droits de l’Homme s’interrogent sur la légalité des décisions administratives prises par les représentants du ministère de l’Intérieur au niveau territorial alors qu’en vertu de la Constitution, les restrictions des libertés sont du ressort de la loi et non des dispositions réglementaires. Pas plus tard que le mardi 16 mars 2021, les autorités ont dispersé un sit-in des enseignants contractuels rassemblés devant le Parlement à Rabat. Invoquant l’état d’urgence sanitaire et le danger de la tenue de manifestations qui pourraient créer des foyers de contamination à la Covid-19, la police est intervenue violemment pour mettre fin à ce rassemblement occasionnant plusieurs blessures du côté des enseignants. Le bureau du Syndicat national de l’éducation affilié à la Confédération démocratique du travail (CDT) a condamné dans un communiqué «les mesures visant à restreindre les libertés syndicales».

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Énième prolongation

Le 4 mars dernier, le Conseil de gouvernement a tranché. L’état d’urgence sanitaire a été prolongé jusqu’au 10 avril prochain et cette 12e prorogation ne sera certainement pas la dernière (cf. frise chronologique). Pour rappel, le décret portant prolongation de l’état d’urgence sanitaire confère aux walis et gouverneurs, sur la base des données disponibles concernant la situation épidémique au niveau de chaque province, le droit de prendre toutes les mesures procédurales nécessaires pour préserver l’ordre public sanitaire, qu’elles soient de nature prédictive, préventive ou protectrice. Pourtant, la situation épidémiologique est stable, les citoyens sont lassés et plusieurs secteurs d’activité sont à l’arrêt total. Au bout d’une année, tout le monde craint une «banalisation» de ce régime particulier. La confiance populaire est aujourd’hui perdue, surtout après une série de couacs (l’abandon des mesures d’aides aux populations impactées par la crise due à la pandémie, l’annonce de la fermeture des villes à la veille de la célébration de Aïd Al-Adha, le retard dans le démarrage de la campagne de vaccination anti-Covid-19…). Le manque de visibilité conjugué à un défaut de communication gouvernementale ont exacerbé la méfiance voire la défiance à l’égard des autorités. Depuis l’instauration de l’état d’urgence sanitaire le 20 mars 2020, des centaines de milliers de citoyens ont été interpelés pour violation de ses dispositions.

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À situation exceptionnelle, loi exceptionnelle. Certes, les citoyens aspirent à vivre en bonne santé mais sans pour autant accepter une quelconque dérive autoritaire. Le dispositif inédit de l’état d’urgence sanitaire, qui confie au gouvernement de larges pouvoirs, est censé être contrôlé par le Parlement. Or, les moyens mis à disposition des élus semblent inappropriés pourl’exercice de ce contrôle si ce n’est à travers les séances plénières en présence des membres de l’exécutif. L’espoir d’un retour à la normale et d’une pleine jouissance des libertés et droits fondamentaux renaît avec l’évolution de la campagne nationale de vaccination contre la Covid-19. Vivement l’immunité collective!

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