La semaine dernière, les habitants de la ville de Figuig, dans l’est du Maroc, ont étéstupéfaits après que les autorités algériennes leur aient ordonné d’évacuer leurs fermes situées à El Arja, près de la frontière maroco-algérienne. L’Algérie, qui revendique le territoire abritant les fermes, a appelé le groupe d’agriculteurs marocains à évacuer les lieux avant le 18 mars. Alors que l’Algérie a rappelé auxagriculteurs d’El Arja que le territoire relevait de sa souveraineté, les autorités marocaines ont également signifié aux propriétaires, qui n’ont plus que 24 heures pour quitter les lieux où des militaires algériens ont déjà installé leurs tentes, d’exécuter la demande faite par l’Algérie«pour la protection de leurs vies», ont indiqué des acteurs de la société civile locale à Yabiladi.
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Suite à ces tensions, plusieurs médias marocains ont rapporté que les agriculteurs étaient sur le point de perdre des exploitations se trouvant sur des terres revendiquées par l’Algérie. En l’absence de déclarations officielles de la part des autorités des deux pays, la polémique médiatique s’est accentuée. Voyant leur labeur de plusieurs années sur le point de partir en fumée, les agriculteurs marocains touchés par la décision des autorités algériennes ont décidé de s’organiser afin de défendre leurs droits. Ils ont ainsi organisé une manifestation samedi 13 mars pour crier leur désarroi et demander aux autorités de les indemniser. Le gouvernement a été appelé à clarifier la situation des agriculteurs, qui risquent de perdre leurgagne-pain. Pour sa part, le bureau politique du Parti du Progrès et du socialisme (PPS) a exprimé «sa pleine solidarité avec les familles touchées» et a appelé le gouvernement à «adopter une approche transparente, mais aussi de fermeté, de sagesse et d’équilibre en présentant les tenants et aboutissants» de la décision algérienne, qui revêt «un caractère provocateur, intervenant dans un contexte délicat dans les relations entre les deux pays».
Les autorités marocaines réagissent
Ainsi, «suite à la décision provisoire et circonstancielle des autorités algériennes», le gouverneur de la province de Figuig a tenu, ce mardi 16 mars, une réunion avec plusieurs exploitants de terres agricoles situées dans la zone afin d’examiner les développements de la situation. Dans un communiqué, la préfecture de la province de Figuig a indiqué que le naib des terres collectives (soulaliyates) de Oulad Souleymane et des membres du conseil des représentants ont assisté à cette réunion, qui s’inscrit dans le cadre d’une série de rencontres que les autorités provinciales et locales tiennent avec les représentants de cette communauté. Le gouverneur de la province de Figuig a indiqué que cette réunion était consacrée à l’examen des solutions possibles pour atténuer les répercussions de la décision susmentionnée sur les exploitants de ces terres agricoles. Et d’ajouter que l’autorité provinciale, en coordination et concertation continues avec les organes représentatifs de la communauté soulaliya et des exploitants de ces terres agricoles concernés par la décision des autorités algériennes, continuera d’examiner et d’élaborer des propositions de solutions qui prennent en considération toutes les possibilités.
Tracé frontalier : qu’en est-il réellement ?
Dans cette région, une convention scellée entre Hassan II et Boumediène en 1972 définit un tracé. Dans cette convention, l’accord de 1901 avec la France, qui permettait à ces populations d’aller exploiter leurs terres sans aucune entrave, a été rappelé. L’application ambigüe de ce texte est la cause de la situation actuelle. Pour le régime algérien, il s’agit de son territoire d’après le traité de 1972. Toutefois, les populations estiment que ce sont leurs propriétés.
Dans le détail, selon Yabiladi, qui indique avoir consulté le bulletin officiel algérien n° 48 du vendredi 15 juin 1973, la convention de 1972 stipule que la zone concernée par cette interdiction ne serait pas sous la souveraineté du Maroc. En effet, la Convention relative au traçage de la frontière d’État établie entre le Maroc et l’Algérie évoque une frontière «le long de la ligne de crêtes en passant par les points côtés 1544, 1026 (djbel Melias)» qui passe ensuite «sur la ligne de crêtes des hauteurs séparant les Oasis de Beni Ounif et de Figuig, puis contourne les zones dunaires à l’est de cette localité en suivant l’oued sans nom, jusqu’à sa rencontre avec l’oued Halouf», écrit le journal.
Contactés par Yabiladi, des acteurs associatifs originaires de la région ont indiqué que ce texte indique que «l’oued sans nom serait Zousfana ainsi que l’oued qui le rejoint, qui est celui qui passe par El Arja». Selon eux, cela laisse entendre que «tout ce qui est de l’autre côté est algérien» et qu’il «est officiellement convenu que la moitié des terres historiques de Figuig sont en Algérie». Mais pour les exploitants des palmiers dattiers, qui ont une autre interprétation de cette convention, ce tracéfrontalier n’est pas le même que celui convenu entre le Maroc et l’Algérie. Ils estiment que l’oued traversant El Arja est bien connu pour être éponyme. Ainsi, «l’oued sans nom» est celui qui passe de l’autre côté des crêtes, qu’ils considèrent bien comme étant algériennes, contrairement à leurs terres situées au nord-est de Figuig.
Manque de cohérence dans les propos algériens
Outre l’ambigüité constatée dans le tracéfrontalier, les habitants locaux estiment que la décision algérienne, qui vient seulement d’être mise en avantmalgré la fermeture des frontières entre les deux pays depuis les années 1990, serait due notamment aux nouvelles tensions politiques entre le Maroc et l’Algérie, concernant la question du Sahara. De son côté, le journal arabophone algérien Al-Khabar a affirmé que pour des raisons humanitaires, «l’Algérie a laissé des paysans marocains poursuivre leurs activités agricoles sur le territoire national situé près de la localité d’El Arja, dans la wilaya de Béchar». Durant 29 ans, aucun problème frontalier n’a été signalé dans cette région, indique le journal algérien. Toutefois, selon le média, «le 20 février dernier, des explosions ont été entendues dans cette région, poussant les autorités civiles et militaires algériennes à enquêter sur l’origine des déflagrations». Et d’ajouter qu’alors que «les autorités marocaines ont signalé une campagne de déminage dans cette région», l’enquête menée par leurs homologues algériennes a mis en évidence «une activité massive visant à agrandir les fermes et clôturer les terres, menée par les agriculteurs marocains des zones adjacentes aux fermes d’El Arja, en particulier depuis le début de l’année en cours». Pour l’ambassade algérienne, citée par le Pacha de Figuig, cette interdiction «temporaire prendra fin avec la pandémie». La représentation diplomatique n’a toutefois pas expliqué les causes de cette mesure d’interdiction d’accès à El Arja.
Par ailleurs, sollicité par Sputnik, Abdelhamid Larbi Chérif, l’ex-colonel des services de renseignement algérien, a indiqué que «le trafic de drogue qui transite par cette région a lourdement pesé dans cette décision». «L’Algérie n’a jamais estimé que la présence de ces agriculteurs marocains sur son territoire était un problème. Néanmoins, la cadence du trafic de drogue dans cette région est dénoncée par les autorités sécuritaires algériennes depuis les années 1990», a-t-il affirmé. «Alors que les quantités et dosages en substance active du cannabis qui transitent via ce tronçon de frontière deviennent de plus en plus inquiétantes, et que les services de sécurité marocains restent passifs, l’Algérie n’a pas d’autres choix que de verrouiller cette région», a avancé l’ex-colonel, regrettant le fait que «ce soit de pauvres agriculteurs qui n’ont rien avoir avec ce trafic qui payent les pots cassés».
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